Le créancier d’une société peut-il demander la désignation d’un administrateur provisoire ?

Le créancier d’une société n’a pas qualité pour demander en justice la désignation d’un administrateur provisoire chargé de gérer cette dernière lorsque son fonctionnement normal est devenu impossible.

Lorsqu’une société est confrontée à de graves difficultés qui l’empêchent de fonctionner normalement et qu’elle est exposée à un péril imminent, les associés peuvent demander en justice la nomination d’un administrateur provisoire qui sera chargé de gérer la société pendant quelque temps. Mais un créancier de la société peut-il également formuler une telle demande ? La Cour de cassation vient de répondre clairement, et pour la première fois semble-t-il, à cette question : le créancier d’une société n’a pas qualité pour agir en justice afin de faire désigner un administrateur provisoire de celle-ci, quand bien même aurait-il un intérêt légitime à le faire. Dans cette affaire, deux sociétés avaient accusé leur dirigeant commun d’avoir commis des détournements de fonds au profit d’une troisième société (une société par actions simplifiée) dont il était également le président et l’actionnaire majoritaire. Ces deux sociétés avaient poursuivi la SAS et le président et, en leur qualité de créancières de la SAS, avaient demandé en justice la désignation d’un administrateur chargé de gérer provisoirement la société. Mais les juges ont rejeté leur demande au motif qu’elles n’avaient pas qualité pour agir à cette fin.

Cassation commerciale, 7 mai 2025, n° 23-20471

Article publié le 11 juin 2025 – © Les Echos Publishing 2025 – Crédit photo : Sai Ar Law Ka

Sanctions encourues en cas de non-dépôt des comptes annuels

Président d’une société par actions simplifiée, je ne suis pas très enclin à publier les comptes annuels de la société au titre de l’exercice écoulé. Quels sont les risques encourus si je ne satisfais pas à cette obligation ?

Si vous ne déposez pas les comptes annuels de votre société au greffe du tribunal de commerce dans le délai d’un mois (deux mois en cas de dépôt par voie électronique) à compter de leur approbation par les associés bien que vous y soyez tenu, le greffe vous enverra, en principe, une relance. Si vous ne vous exécutez pas dans le délai imparti, le greffier pourra alors en informer le président du tribunal de commerce, lequel pourra vous enjoindre, sous astreinte, de procéder au dépôt des comptes à bref délai. Par ailleurs, tout intéressé (par exemple un salarié ou un associé) ou le ministère public peut demander au président du tribunal de commerce de vous enjoindre de déposer les comptes, sous peine d’astreinte, ou bien de désigner un mandataire chargé d’accomplir cette formalité. Et sachez que le défaut de dépôt des comptes sociaux constitue une infraction pénale passible d’une amende de 1 500 €. Rappelons que vous pouvez demander que l’ensemble des comptes ou le compte de résultat seulement, selon la taille de votre entreprise, ne soient pas rendus publics en souscrivant une déclaration de confidentialité au moment de leur dépôt au greffe. Dans ce cas, seules les autorités judiciaires et administratives ainsi que la Banque de France pourront accéder aux comptes annuels de votre société.

Article publié le 05 juin 2025 – © Les Echos Publishing 2025

Conséquences du départ à la retraite d’un associé de Gaec

Mon père, qui était associé avec moi dans un Gaec, vient de prendre sa retraite. J’ai recherché un nouvel associé, mais mes recherches sont pour l’instant vaines. Quelles possibilités s’offrent à moi ?

Un Gaec doit comprendre au moins deux associés. Vous ne pouvez donc pas rester seul sous peine de perdre l’agrément administratif. Du coup, si vous ne trouvez pas de nouvel associé au bout d’un certain temps (un an maximum, renouvelable une fois, voir avec la préfecture), vous devrez alors changer de forme juridique et transformer votre Gaec en EARL ou bien revenir à l’exploitation individuelle. Dans le premier cas, vous resterez en société et pourrez en être l’unique associé. Pour cela, vous devrez, bien entendu, racheter les parts sociales de votre père, sauf s’il souhaite rester associé (non exploitant). Et dans ce dernier cas (plusieurs associés), la société devra, si le Gaec était imposé au micro-BA, passer au régime fiscal du réel. S’agissant du respect de la réglementation du contrôle des structures, vous n’aurez pas besoin de demander une autorisation administrative d’exploiter. Dans le second cas (passage à l’entreprise individuelle), vous devrez dissoudre et liquider le Gaec, ce qui entraînera notamment des conséquences fiscales (frais d’enregistrement, imposition éventuelle des plus-values). À ce titre, vous pourrez, le cas échéant, revenir au régime micro-BA si le Gaec était au réel. Et vous devrez, si besoin, redemander une autorisation administrative d’exploiter et transférer sur votre tête les baux qui étaient au nom du Gaec.

Article publié le 03 juin 2025 – © Les Echos Publishing 2025

Nullité des décisions en droit des sociétés : du nouveau !

Les règles qui régissent les nullités des décisions prises dans les sociétés civiles et commerciales ont été revues et corrigées. Une réforme qui entrera en vigueur le 1 octobre prochain.

Dans une société, lorsque des actes ou des délibérations sont pris en violation de certaines règles légales ou statutaires, ils sont susceptibles d’être annulés par un juge. À ce titre, pour renforcer la sécurité juridique de la constitution des sociétés ainsi que celle de leurs actes et délibérations, les pouvoirs publics, par le biais d’une ordonnance du 12 mars 2025, ont clarifié et simplifié en profondeur les règles qui encadrent les nullités.

Précision : ces nouvelles règles entreront en vigueur le 1er octobre prochain.

Voici les principales nouveautés qui méritent d’être signalées.

Renforcement du contrôle du juge

D’abord, le prononcé de la nullité d’une décision sera très encadré. Ainsi, sauf disposition contraire, la nullité d’une décision prise dans une société ne pourra être prononcée par un juge que si les trois conditions suivantes sont réunies :
– la personne qui demande la nullité de la décision justifie d’une atteinte à ses intérêts résultant de la violation de la règle invoquée ;
– l’irrégularité invoquée a eu une influence sur le sens de la décision ;
– les conséquences de la nullité de la décision pour l’intérêt social de la société ne sont pas excessives au regard de l’atteinte à cet intérêt social.

Limitation des nullités en cascade

Ensuite, les nullités en cascade, qui peuvent emporter des conséquences graves pour la société, seront limitées. Ainsi, d’une part, la nullité de la nomination ou du maintien d’un organe (président, directeur général…) ou d’un membre d’un organe collégial de la société (membre du conseil d’administration…) n’entraînera plus la nullité des décisions prises par celui-ci. Et d’autre part, lorsque la rétroactivité de la nullité d’une décision sera de nature à produire des effets manifestement excessifs pour l’intérêt de la société, les effets de cette nullité pourront être différés par le juge.

Réduction du délai de prescription

Enfin, le délai de la prescription pour demander la nullité d’une décision en droit des sociétés sera réduit de trois à deux ans.

Ordonnance n° 2025-229 du 12 mars 2025, JO du 13

Article publié le 22 mai 2025 – © Les Echos Publishing 2025 – Crédit photo : Media Raw Stock

L’obligation d’établir un rapport de durabilité est reportée

L’entrée en vigueur de l’obligation imposée par le droit européen aux grandes entreprises de publier des informations en matière environnementale, sociale et de gouvernance dans un rapport dit « de durabilité » est reportée de 2 ans pour certaines entreprises.

Vous le savez : transposant en droit français la directive européenne dite CSRD (« Corporate sustainability reporting directive »), une ordonnance du 6 décembre 2023 est venue renforcer les obligations de transparence des grandes entreprises et des sociétés cotées en leur imposant de publier des informations extra-financières en matière environnementale, sociale et de gouvernance. Des informations qui doivent ensuite être certifiées par un commissaire aux comptes. L’objectif de cette mesure étant de répondre au besoin de plus en plus fortement exprimé par les pouvoirs publics, les institutions financières, les organisations non-gouvernementales, les investisseurs, les partenaires ou encore les clients des grandes entreprises de connaître les données concernant leur RSE (responsabilité sociale des entreprises). Décrivant l’impact de l’entreprise sur les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance, ces informations doivent figurer dans un rapport dit « de durabilité », qui est intégré au rapport de gestion présenté aux associés, et qui a vocation à se substituer progressivement, mais avec un contenu plus étoffé, à la déclaration de performance extra-financière (DEPF) que doivent souscrire les grandes entreprises et les sociétés cotées.

En pratique : ces informations doivent être présentées selon des normes européennes standardisées.

Cette nouvelle obligation d’établir un rapport de durabilité s’impose d’ores et déjà, plus précisément pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2024, aux grandes entreprises cotées qui dégagent un chiffre d’affaires (CA) d’au moins 50 M€ ou qui ont un total de bilan d’au moins 25 M€ et qui emploient plus de 500 salariés, ainsi qu’aux sociétés mères d’un grand groupe dépassant au total ce seuil de 500 salariés qui sont des sociétés cotées (1re vague).

Une obligation reportée de 2 ans pour certaines entreprises

Pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2025, l’obligation devait s’étendre aux grandes entreprises, cotées ou non, qui dégagent un chiffre d’affaires (CA) d’au moins 50 M€ ou qui ont un total de bilan d’au moins 25 M€ et qui emploient plus de 250 salariés ainsi qu’à celles qui sont des sociétés mères d’un grand groupe (2e vague). Et pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2026, ce devait être au tour des sociétés cotées qui sont des moyennes (c’est-à-dire qui ne dépassent pas deux des trois seuils suivants : 50 M€ de CA ; 25 M€ de total de bilan ; 250 salariés) ou des petites entreprises (qui ne dépassent pas deux des trois seuils suivants : 15 M€ de CA ; 7,5 M€ de total de bilan ; 50 salariés) (3e vague). Mais compte tenu de la lourdeur et de la complexité de cette obligation, les autorités européennes ont décidé de reporter de 2 ans son entrée en vigueur pour les entreprises mentionnées ci-dessus, et donc de la rendre applicable :- pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2027 (au lieu du 1er janvier 2025) pour les entreprises de la 2e vague ;
– pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2028 (au lieu du 1er janvier 2026) pour les entreprises de la 3e vague. Ce report a été acté dans une directive européenne du 14 avril 2025 et repris en droit français par une loi du 30 avril 2025.

Art. 7, loi n° 2025-391 du 30 avril 2025, JO du 2 mai

Article publié le 20 mai 2025 – © Les Echos Publishing 2025 – Crédit photo : Utamaru Kido

Agrément d’une cession de parts sociales de SARL : les associés ont 3 mois pour statuer

Lorsque les associés d’une SARL n’ont pas statué sur l’agrément d’une cession de parts sociales dans un délai de 3 mois, cet agrément est réputé acquis.

Dans une SARL, les cessions de parts sociales ne peuvent être consenties à des tiers (c’est-à-dire à des personnes autres que les associés, leurs conjoints, leurs ascendants ou leurs descendants) qu’avec le consentement des associés. En pratique, le projet de cession doit être notifié, par acte de commissaire de justice ou par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, à la société et à chacun des associés. Puis, dans les 8 jours qui suivent cette notification, le gérant doit convoquer l’assemblée générale des associés pour qu’elle délibère sur le projet de cession ou bien consulter les associés par écrit.

Précision : l’autorisation de la cession (on parle « d’agrément ») doit être donnée par la majorité des associés représentant au moins la moitié des parts sociales, sauf si les statuts prévoient une majorité plus forte.

Sachant qu’en l’absence de décision des associés dans le délai de 3 mois à compter de la dernière des notifications du projet de cession aux associés, l’agrément est considéré comme acquis et la cession est donc autorisée. Prévue par la loi, cette disposition est impérative : elle s’applique lorsque le délai de 3 mois est expiré, et ce même si le délai minimal de 15 jours laissé aux associés pour qu’ils se prononcent lorsqu’ils sont consultés par écrit expire au-delà du délai de 3 mois.

Rappel : en cas de consultation écrite des associés, ces derniers disposent d’un délai minimal de 15 jours pour émettre leur vote par écrit.

Ainsi, dans une affaire récente, l’un des associés d’une SARL avait notifié à la société et aux autres associés un projet de cession de ses parts sociales à un tiers, la dernière notification ayant été reçue le 30 septembre 2020. Or ce n’est que le 14 décembre 2020 que le gérant de la SARL avait envoyé le projet de cession aux associés pour qu’ils statuent par consultation écrite, en leur demandant de répondre le 6 janvier 2021 au plus tard. Et à l’issue de cette consultation, la société avait notifié à l’associé, le 19 février 2021, sa décision de refuser d’agréer le tiers.

Un agrément tacite au bout de 3 mois sans réponse

Mais l’associé, faute d’avoir reçu une réponse à l’expiration du délai de 3 mois (le 31 décembre 2020), s’était alors prévalu d’un agrément tacite et avait agi en justice contre la société aux fins de faire reconnaître la qualité d’associé au tiers et de se voir autoriser à lui céder ses parts. Il a obtenu gain de cause, les juges ayant affirmé que le délai minimal de 15 jours, prévu pour permettre aux associés consultés par écrit de se prononcer, ne peut pas avoir pour effet de prolonger le délai légal de 3 mois imparti pour statuer sur l’agrément, contrairement à ce que le prétendait la société.

À noter : les juges ont ajouté qu’il appartenait au gérant, qui disposait de suffisamment de temps pour le faire, d’organiser la consultation écrite des associés de manière à permettre le respect du délai légal de 3 mois enserrant la procédure d’agrément, tout en laissant aux associés un délai minimal de 15 jours pour prendre leur décision.

Cassation commerciale, 2 avril 2025, n° 23-23553

Article publié le 16 mai 2025 – © Les Echos Publishing 2025 – Crédit photo : Rawpixel Ltd.

Ordre du jour d’une assemblée générale de société

Lors de la dernière assemblée générale de notre société, nous avons adopté une résolution portant sur un sujet qui ne figurait pas à l’ordre du jour. Un associé pourrait-il la faire annuler ?

L’assemblée générale d’une société ne peut délibérer que sur les questions qui figurent à l’ordre du jour. Une décision prise en violation de cette règle serait donc susceptible d’être annulée. C’est ce que les juges ont décidé à de nombreuses reprises. Cette sanction (la nullité) est même expressément prévue par les textes régissant la société anonyme ou la société en commandite par actions. Sachant toutefois que l’assemblée peut valablement adopter des résolutions supplémentaires qui résultent naturellement de celles qui sont inscrites à l’ordre du jour, c’est-à-dire qui portent sur des questions qui sont la conséquence directe d’un sujet inscrit à l’ordre du jour. Elle peut aussi traiter des questions diverses à condition qu’elles soient d’une importance minime.

Article publié le 09 mai 2025 – © Les Echos Publishing 2025

Quand un directeur commercial peut-il être considéré comme un dirigeant de fait ?

Faute d’avoir commis des actes concrets caractérisant son immixtion dans la direction de la société, le directeur commercial d’une SARL n’a pas pu être considéré comme en étant le gérant de fait.

Lorsqu’une personne, souvent un salarié ou un associé, accomplit des actes de direction et de gestion d’une société alors qu’elle n’a pas été désignée en qualité de dirigeant de droit (gérant dans une SARL, président dans une SAS…) de cette société, elle peut être considérée comme en étant le « dirigeant de fait ». Et du coup, elle peut subir les mêmes conséquences que si elle était dirigeant de droit. Sa responsabilité civile, financière ou pénale peut donc être engagée en cas de faute ou d’infraction. Mais pour être considéré comme dirigeant de fait, l’intéressé doit s’être immiscé activement dans la direction de la société en ayant commis des actes positifs de gestion. C’est ce que la Cour de cassation a rappelé dans l’affaire récente suivante. Après qu’une SARL avait été placée en liquidation judiciaire, une cour d’appel avait prononcé la faillite personnelle de son directeur commercial, salarié de la société, considérant qu’il s’était comporté comme son dirigeant de fait. En effet, elle avait constaté que l’intéressé avait, de tout temps, outrepassé ses fonctions de manière continue et régulière et qu’il avait exercé une emprise certaine sur le gérant (de droit) de la société, en l’occurrence son neveu. De plus, selon les salariés, le directeur commercial était le véritable dirigeant de la société car c’est lui qui prenait l’ensemble des décisions. Pour la cour d’appel, ces éléments constituaient un faisceau d’indices qui caractérisait l’exercice par ce dernier d’un véritable pouvoir de direction de la société, exercé en toute liberté et indépendance.

Des actes positifs précis d’immixtion dans la direction de la société

Mais la Cour de cassation, saisie par le directeur commercial, a censuré la décision de la cour d’appel. En effet, elle a affirmé qu’un faisceau d’indices ne peut suffire à démontrer une direction de fait. Et que des actes positifs précis, accomplis en toute indépendance, de nature à caractériser l’immixtion de l’intéressé dans la direction de la société doivent être établis, ce qui n’avait pas été le cas dans cette affaire.

Cassation commerciale, 26 mars 2025, n° 24-11190

Article publié le 02 mai 2025 – © Les Echos Publishing 2025 – Crédit photo : gilaxia

La responsabilité pénale des personnes morales

Une personne morale (une société notamment) peut être condamnée pénalement au même titre qu’une personne physique. Le Code pénal (art. 121-2) prévoit en effet que les personnes morales sont pénalement responsables des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou leurs représentants. Toutes les personnes morales (à l’exception de l’État, bien sûr) et toutes les infractions (contraventions, délits ou crimes) étant visées. Le point sur cette responsabilité pénale.

Les personnes morales concernées

Toute personne morale, de droit privé ou de droit public, peut être condamnée pénalement au même titre qu’une personne physique.

Peuvent faire l’objet de poursuites pénales aussi bien les personnes morales de droit privé (les sociétés, les associations, les syndicats, les G.I.E, les comités d’entreprise…) que de droit public (les collectivités territoriales, les établissements publics…), les personnes morales françaises, mais aussi, le cas échéant, étrangères.

Précision : seules les sociétés dotées de la personnalité morale peuvent être responsables pénalement. Les sociétés créées de fait et les sociétés en participation, qui sont dépourvues de personnalité morale, ne peuvent donc pas être poursuivies pénalement.

Et de la même façon que le décès de la personne physique, la disparition de la personne morale empêche les poursuites pénales à son encontre.

Attention : la dissolution d’une société n’entraîne pas ipso facto sa disparition. En effet, la dissolution emporte, en principe, la liquidation de la société, mais cette dernière survit pour les besoins des opérations de liquidation. Pendant la période de liquidation, la société est donc susceptible d’être poursuivie pénalement tant pour des faits antérieurs à la dissolution que pour des faits commis pendant la liquidation. Il en va toutefois différemment lorsque la dissolution intervient dans le cadre d’une opération de fusion/absorption, qui implique la dissolution sans liquidation de la société absorbée. La société absorbée n’ayant alors plus d’existence juridique, elle ne peut donc plus faire l’objet de poursuites pénales. Quant à la société absorbante, elle peut être condamnée pénalement pour des infractions commises par la société absorbée avant la fusion. C’est ce qu’a décidé la Cour de cassation dans une décision du 25 novembre 2020 qui a fait couler beaucoup d’encre.

Les infractions concernées

Une personne morale peut engager sa responsabilité pénale pour tout type d’infraction, quel que soit son mode de commission.

Sauf rares exceptions (notamment infractions de presse), les personnes morales peuvent engager leur responsabilité pénale pour toutes les infractions (contraventionnelles, délictuelles ou criminelles) pour lesquelles les personnes physiques peuvent être condamnées.

En pratique : les infractions pour lesquelles les personnes morales sont les plus susceptibles d’être condamnées pénalement sont naturellement celles en rapport avec le domaine économique (violation des règles de concurrence, contrefaçon, pratique commerciale trompeuse, exercice illégal de certaines activités professionnelles, corruption…), comptable ou financier (comptes ne donnant pas une image fidèle de l’entreprise, blanchiment, infractions boursières…) ou avec la législation du travail (violation des règles de sécurité au travail, harcèlement, discrimination…) ou celle sur le respect de l’environnement.

Et non seulement toutes les catégories d’infractions sont, par principe, visées, mais également tous les modes de commission d’infraction. Ainsi, notamment, une personne morale peut être condamnée pour fait de complicité.

Les conditions de la responsabilité pénale des personnes morales

Pour pouvoir engager la responsabilité pénale d’une personne morale, il faut que l’infraction ait été commise par un organe ou un représentant de celle-ci et que l’infraction ait été réalisée pour son compte.

Pour qu’une personne morale soit condamnée pénalement, deux conditions doivent être réunies :
– les faits reprochés doivent avoir été commis par un organe ou un représentant de la personne morale ;
– l’infraction doit avoir été commise pour le compte de la personne morale.

Infraction commise par un organe ou un représentant de la personne morale

Les « organes » sont les personnes ou ensembles de personnes qui sont désignés par la loi ou par les statuts de la personne morale pour agir au nom de celle-ci et pour en assurer la direction et la gestion. Ainsi, par exemple, dans une SARL, l’organe sera le ou les gérant(s). Dans une SA, il s’agira du président du conseil d’administration, du directeur général, du président du directoire, du conseil d’administration, du directoire ou du conseil de surveillance. Et dans une SAS, ce sera le président et, le cas échéant, le directeur général.

À noter : la Cour de cassation a admis que l’organe impliqué puisse être un dirigeant de fait, c’est-à-dire une personne qui, sans l’être juridiquement, se comporte comme si elle était le dirigeant de la société.

Quant aux « représentants », ce sont tous ceux qui peuvent agir pour le compte de la personne morale et l’engager aux yeux des tiers. C’est le cas notamment des administrateurs provisoires, mais aussi et surtout des salariés ou des tiers ayant reçu une délégation de pouvoirs de la part du représentant légal de la personne morale. Attention toutefois, l’organe ou le représentant auteur des faits doit avoir été identifié précisément. Cette exigence est régulièrement rappelée par les tribunaux. À défaut, la responsabilité pénale de la société ne peut pas être engagée.

Infraction commise pour le compte de la personne morale

Cette condition de « pour le compte de la personne morale », à la formule très générale, est entendue très souplement par les tribunaux, au point qu’on devrait la considérer satisfaite chaque fois que l’infraction présente un intérêt pour la personne morale et qu’elle n’a donc pas été commise dans l’intérêt exclusif de l’organe ou du représentant auteur des faits.

Les sanctions applicables

La personne morale qui a commis une infraction peut être condamnée à une amende d’un montant maximal cinq fois supérieur à celle encourue pour la même infraction par une personne physique.

La peine principalement encourue par une personne morale est forcément d’ordre pécuniaire, à savoir une amende (une personne morale ne peut évidemment pas effectuer une peine de prison !). Le montant maximal de cette amende étant fixé à 5 fois celle encourue pour la même infraction commise par une personne physique.

Précisions : certains textes prévoient la possibilité d’augmenter le maximum de l’amende encourue par les personnes physiques pour un délit donné en tenant compte soit de la valeur des biens sur lesquels porte le délit, soit du profit retiré de la commission de l’infraction. Dans le cas d’un crime pour lequel aucune peine d’amende n’est prévue à l’encontre des personnes physiques, l’amende encourue par les personnes morales est de 1 million d’euros. Pour les contraventions de 5e classe, l’amende peut être remplacée par des peines alternatives.

La peine principale peut, si le texte réprimant l’infraction le prévoit ou en cas de récidive, s’accompagner d’une ou de plusieurs peines complémentaires. Parmi celles-ci figurent notamment la dissolution, l’interdiction d’exercer une activité professionnelle ou sociale ou encore la fermeture d’établissement.

Le cumul des responsabilités

La responsabilité pénale de la personne morale ne se cumule pas automatiquement avec celle, personnelle, de l’organe ou du représentant auteur des faits.

La responsabilité pénale de la personne morale ne se cumule pas nécessairement avec celle de l’organe ou du représentant auteur des faits réprimés. Il peut ainsi arriver que l’organe ou le représentant ayant commis les faits soit relaxé alors que la personne morale avait, quant à elle, été condamnée pour les mêmes faits. Ainsi, l’exonération de l’organe ou du représentant peut résulter de causes subjectives ou personnelles à cet organe ou représentant. C’est le cas, par exemple, du dirigeant qui sera exonéré de toute responsabilité pénale car souffrant de trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. En revanche – et à la différence des principes de la responsabilité civile personnelle du dirigeant –, celui-ci ne pourra pas espérer échapper à sa responsabilité pénale en faisant valoir que c’est dans le cadre de l’exercice de ses fonctions de dirigeant que l’infraction a été commise (la notion de « faute détachable des fonctions » ne joue pas ici). L’exclusion de la responsabilité pénale de l’organe ou du représentant auteur de l’acte peut également résulter de l’application des dispositions de l’article 121-3 alinéa 4 du Code pénal. Selon ce texte, les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation ayant permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, ne sont responsables pénalement que s’il est établi qu’elles ont soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer. Ainsi, dans le cas d’infractions intentionnelles, la règle est plutôt celle du cumul des poursuites. À l’inverse, dans le cas d’infractions non intentionnelles (imprudence, négligence…), le plus souvent, seule la personne morale est poursuivie, la responsabilité pénale de la personne physique n’étant engagée que si une faute personnelle est suffisamment établie à son encontre pour justifier cette responsabilité.

Article publié le 11 avril 2025 – © Les Echos Publishing 2025 – Crédit photo : Westend61 / Christina Falkenberg

Renonciation du conjoint commun en biens d’un associé à la qualité d’associé

Lorsqu’une personne mariée sous le régime de la communauté a apporté des biens communs à une SARL ou à une société civile, son conjoint a le droit de revendiquer lui-même la qualité d’associé ou de renoncer à cette qualité. Sa renonciation peut être tacite mais à condition d’être sans équivoque.

Dans les SARL, dans les sociétés en nom collectif et dans les sociétés civiles, le conjoint d’un associé qui a utilisé des biens communs du couple pour faire un apport à la société ou pour souscrire des parts sociales a le droit de revendiquer lui-même la qualité d’associé pour la moitié des parts sociales correspondantes.

En pratique : pour exercer ce droit, le conjoint, après en avoir été averti, doit notifier à la société son intention d’être personnellement associé.

Bien entendu, le conjoint peut renoncer à revendiquer cette qualité. Cette renonciation peut être expressément exprimée ou même être tacite. Mais attention, dans ce dernier cas, elle doit résulter d’un comportement sans équivoque.

Une renonciation sans équivoque

Ainsi, dans une affaire récente, un époux marié sous le régime de la communauté avait notifié à la SARL dont son épouse était associée gérante son intention d’être lui-même associé à hauteur de la moitié des parts sociales correspondant à l’apport que cette dernière avait réalisé dans la société. Par la suite, dans le cadre d’un conflit opposant les deux conjoints, l’époux avait agi en justice pour faire constater sa qualité d’associé tandis que l’épouse s’y était opposée, faisant valoir qu’il avait tacitement renoncé à la qualité d’associé. Après avoir rappelé qu’un époux peut renoncer à la qualité d’associé de manière tacite à condition que cette renonciation soit sans équivoque, les juges ont estimé que l’époux n’avait pas renoncé à la qualité d’associé. En effet, pour eux, le fait que les époux aient constitué, concomitamment, deux sociétés distinctes dont chacun d’eux était associé à hauteur de 50 % sans que l’autre conjoint détienne des parts sociales ou participe à la gouvernance de la société constituée par son conjoint n’était pas suffisant pour démontrer une renonciation sans équivoque à la qualité d’associé de chacun des époux au sein de la société constituée par l’autre.

Cassation commerciale, 12 mars 2025, n° 23-22372

Article publié le 01 avril 2025 – © Les Echos Publishing 2025 – Crédit photo : YURI ARCURS PRODUCTIONSDMarshall – licence restriction