En cas de comportement fautif, le conjoint survivant peut-il perdre son droit d’usufruit ?

Dans le cadre d’une succession, le conjoint survivant qui n’entretient pas un bien immobilier dont il a recueilli l’usufruit peut perdre ce droit.

Lors du règlement de la succession du défunt, le conjoint survivant recueille, à son choix, soit l’usufruit de la totalité des biens composant la succession, soit la propriété du quart de ces biens. En cas d’option pour l’usufruit, le conjoint survivant a alors le droit d’utiliser les biens concernés ou d’en percevoir les revenus. Mais en cas de faute, peut-il perdre l’exercice de ce droit d’usufruit ? Une question à laquelle les juges ont apporté une réponse à l’occasion d’un contentieux récent. Dans cette affaire, au décès d’un homme, sa veuve avait recueilli, en vertu d’une donation entre époux, l’usufruit portant sur la totalité des biens composant la succession. Nés d’une précédente union, les enfants du défunt avaient notamment reproché à leur belle-mère un défaut d’entretien d’un bien immobilier. Un manque d’entretien qui avait conduit à une perte de valeur conséquente. Les enfants avaient alors sollicité la justice pour demander l’extinction de son droit d’usufruit.

Un abus de jouissance

Saisie du litige, la cour d’appel leur avait donné raison et prononcé l’extinction de l’usufruit sur ce bien en raison d’un abus de jouissance. Par la suite, la veuve avait formé un recours devant la Cour de cassation en invoquant une motivation insuffisante. Mais les juges de la Haute juridiction ont suivi le raisonnement de la cour d’appel, considérant que l’usufruit peut cesser par l’abus que l’usufruitier fait de sa jouissance, soit en commettant des dégradations sur le bien, soit en le laissant dépérir faute d’entretien. En outre, ils ont souligné que la carence totale et ancienne de la veuve dans l’exercice de son usufruit était à l’origine de la dégradation manifeste de l’immeuble, imposant la réalisation de travaux lourds et onéreux avant toute entrée dans les lieux. Elle en a déduit que la gravité de la faute commise devait être sanctionnée par l’extinction absolue de l’usufruit.

Cassation civile 2e, 2 octobre 2024, n° 22-15701

Article publié le 22 novembre 2024 – © Les Echos Publishing 2024 – Crédit photo : Jordi Salas

Un registre pour centraliser les mandats de protection future

Attendu de longue date, un décret récent crée un registre public permettant d’enregistrer les mandats de protection future.

Après 9 années d’attente, le registre des mandats de protection future vient enfin de prendre vie ! Prévu par la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement du 28 décembre 2015, ce registre était en attente de son décret d’application pour pouvoir être effectif. Un décret qui vient d’être publié et qui apporte un certain nombre de précisions sur le fonctionnement de cet outil. Tour d’horizon.

Vous avez dit mandat de protection future ?

Le mandat de protection future est un contrat qui permet à une personne (le mandant) d’organiser à l’avance sa protection en donnant pouvoir à une autre personne (le mandataire) de veiller sur elle et de gérer tout ou partie de son patrimoine. Le mandat ne prenant effet que le jour où elle n’est plus en état physique ou mental de s’occuper seul de ses « affaires ». L’étendue de la mission du mandataire est librement définie par le mandant. Des pouvoirs dont les limites et les conditions d’exercice doivent être précisées par le mandat : possibilité de vendre un bien, de signer un contrat… Ce que permet un mandat établi sous la forme notariée. En revanche, lorsqu’il est dressé par acte sous seing privé, le mandataire ne peut effectuer que des actes de gestion courante. Et ce dernier est tenu, pour des actes plus importants, d’obtenir l’autorisation du juge des tutelles. Il est bon de préciser que le mandat de protection future prend fin notamment lorsque le mandant retrouve pleinement ses facultés ou décède.

Le fonctionnement du registre

En pratique, le mandat de protection future doit être publié dans un registre dématérialisé tenu par le ministère de la Justice dans un délai de 6 mois à compter de son établissement. Étant précisé que, avant la prise d’effet du mandat de protection future, les démarches nécessaires à l’inscription, à la modification et à la suppression des informations inscrites au sein du registre sont réalisées par le mandant pour ce qui concerne :
– l’inscription et la modification de ces informations ;
– la suppression de ces informations lorsque le mandat prend fin en raison de sa révocation par le mandant ou, lorsque le mandant en a connaissance, lorsqu’il prend fin en raison du décès du ou des mandataires, de leur placement sous une mesure de protection ou de leur déconfiture. De son côté , le mandataire ou l’un des mandataires peu(ven)t également agir sur le registre pour ce qui concerne :
– la modification des informations en cas de renonciation de l’un des mandataires ou de déconfiture de l’un des mandataires ne mettant pas fin au mandat ;
– la suppression de ces informations lorsque le mandat prend fin en raison du décès du mandant ou du bénéficiaire du mandat s’il n’est pas le mandant, de la renonciation du ou des mandataires ou de leur déconfiture.

À noter : en cas de requête destinée à mettre en place une mesure de protection juridique, le juge doit désormais vérifier l’existence d’un mandat de protection future au nom de la personne à protéger, en consultant ce nouveau registre.

L’accès au registre

Peuvent prendre connaissance des informations enregistrées au sein du registre notamment :
– les magistrats et les agents de greffe ;
– les attachés de justice, les assistants spécialisés qui ont la qualité de fonctionnaire ou d’agent contractuel, les personnels appartenant à la catégorie C de la fonction publique et, le cas échéant, les auxiliaires et les vacataires concourant au fonctionnement des différents services du greffe ;
– le mandant, le bénéficiaire du mandat s’il n’est pas le mandant et le ou les mandataires, pour les mandats auxquels ils sont parties ou qui les concernent.

Décret n° 2024-1032 du 16 novembre 2024, JO du 17

Article publié le 19 novembre 2024 – © Les Echos Publishing 2024 – Crédit photo : seksan Mongkhonkhamsao / Getty Images

Optimiser une transmission grâce à l’usufruit successif

Lors d’une donation avec démembrement de propriété, il est possible de mettre en place un usufruit successif. Une modalité qui permet de prolonger ce droit même après le décès du donateur.

Le démembrement de propriété est une pratique courante pour répondre aux besoins d’organisation patrimoniale des familles. L’usufruit qui en résulte est, par nature, temporaire et s’éteint au décès de l’usufruitier. Cependant, pour prolonger cette situation, il est possible de constituer un usufruit dit successif. Explications.

La transmission de l’usufruit

Lorsqu’un bien est démembré, l’usufruit peut appartenir à une ou plusieurs personnes, ce droit s’éteignant au décès de l’usufruitier. L’usufruit peut également être successif, c’est-à-dire constitué au profit de plusieurs personnes appelées à en jouir l’une après l’autre. Par exemple, une grand-mère, propriétaire d’un bien immobilier, souhaite transmettre la nue-propriété à son petit-fils tout en se réservant l’usufruit. Elle souhaite également que son fils puisse bénéficier du droit de jouissance de ce bien à son décès. Elle procédera alors à deux donations : la nue-propriété à son petit-fils et l’usufruit successif à son fils. Ainsi, à son décès, l’usufruit s’éteindra sans rejoindre la nue-propriété et un nouveau droit d’usufruit s’ouvrira au profit du fils. Ce n’est qu’au décès de ce dernier que le petit-fils deviendra plein propriétaire du bien.

La fiscalité liée à l’opération

Dans le cadre d’une transmission avec constitution d’un usufruit successif, des droits d’enregistrement sont dus. D’abord, la donation de la nue-propriété (au petit-fils dans notre exemple) sera taxée au jour de la donation en tenant compte de l’âge du premier usufruitier (la grand-mère). Ensuite, au décès de cette dernière, une nouvelle taxation au titre de l’usufruit successif interviendra, cette fois, en fonction de l’âge de son nouveau titulaire (le fils). Il est important de noter que cette méthode de taxation peut surtaxer le nu-propriétaire. Ainsi, l’administration fiscale lui accorde un droit à restitution partielle d’une somme équivalente à ce qu’il aurait payé en moins si le droit avait été calculé lors de la donation initiale d’après l’âge de l’usufruitier en second. Ce droit à restitution suppose, en pratique, que le nu-propriétaire ait bien réglé les droits de donation. La prise en charge de ces derniers par le donateur ferait obstacle à toute demande de restitution.

Article publié le 14 novembre 2024 – © Les Echos Publishing 2024 – Crédit photo : supersizer

Lorsqu’un contrat retraite est financé par des deniers communs aux époux…

En cas de liquidation de la communauté d’époux, celui qui a financé son contrat d’épargne retraite complémentaire à l’aide de deniers communs doit indemniser la communauté.

Dans une affaire récente, un couple marié sous le régime de la communauté avait entamé une procédure de divorce. Lors de la liquidation et du partage de leurs intérêts patrimoniaux, des désaccords entre les époux étaient apparus s’agissant d’un contrat d’épargne retraite ouvert par le mari. La question était de savoir si ce contrat, qui revêtait la qualité de bien propre, donnait ou non droit à récompense envers la communauté. Pour faire valoir ce droit à récompense, l’épouse avait mis en avant le fait que le contrat d’épargne de retraite complémentaire avait été financé par des deniers communs à hauteur de 102 212 euros.

Précision : une récompense est une indemnité due, lors de la liquidation de la communauté, par l’époux qui a enrichi son patrimoine personnel au détriment de la communauté.

Saisie du litige, la cour d’appel avait relevé que le mari n’était pas tenu de verser une récompense à la communauté pour la seule raison que les sommes futures (capital versé au moment de la retraite) sur lesquelles il disposait d’un droit constituent des biens qui ont un caractère personnel. Mécontente de cette décision défavorable pour elle, l’épouse avait formé un pourvoi devant la Cour de cassation. Et les juges de la Haute juridiction ont retenu que le mari avait alimenté, par des deniers communs, un compte personnel d’épargne de retraite complémentaire et qu’il en devait récompense à la communauté. Une décision conforme au droit des régimes matrimoniaux. En effet, selon l’article 1437 du Code civil : « Toutes les fois qu’il est pris sur la communauté une somme, soit pour acquitter les dettes ou charges personnelles à l’un des époux, telles que le prix ou partie du prix d’un bien à lui propre ou le rachat des services fonciers, soit pour le recouvrement, la conservation ou l’amélioration de ses biens personnels, et généralement toutes les fois que l’un des deux époux a tiré un profit personnel des biens de la communauté, il en doit la récompense. ».

Cassation civile 1re, 2 octobre 2024, n° 22-20990

Article publié le 30 octobre 2024 – © Les Echos Publishing 2024 – Crédit photo : Abel Mitja Varela / Getty images

Des changements à venir pour la pension de réversion ?

Le Conseil d’orientation des retraites a évalué la faisabilité et le coût d’une réforme globale visant notamment à harmoniser les conditions d’octroi de la pension de réversion.

Pour protéger les familles, les régimes de retraite de base et complémentaire prévoient qu’une partie de la retraite dont bénéficiait ou aurait pu bénéficier l’assuré décédé soit versée au conjoint survivant. Pour autant, le versement d’une pension de réversion n’est pas automatique. Plusieurs critères sont appliqués pour juger de l’éligibilité du conjoint survivant à cette pension. Mais ces critères ou leur mise en œuvre peuvent différer d’un régime à un autre. Dans une volonté de soulever les difficultés liées aux conditions d’octroi des pensions de réversion, les pouvoirs publics avaient demandé l’année dernière au Conseil d’orientation des retraites (COR) de plancher sur le sujet. Après plusieurs séances de travail, un consensus se dégage sur un besoin d’harmonisation des dispositifs. En effet, il existe une grande hétérogénéité des règles (taux, âge minimal de perception pour le conjoint survivant, condition de non remariage…), générant des disparités de traitement des assurés entre les nombreux régimes de retraite français. L’une des premières étapes consisterait donc à harmoniser les critères d’éligibilité pour tous les régimes.

Un mode de calcul à revoir

Ensuite, le COR a évoqué une autre piste : revoir le mode de calcul de la pension de réversion. Afin d’atteindre un objectif de maintien de niveau de vie du conjoint survivant, tout en évitant les situations de sur ou de sous-compensation du niveau de vie, le mode de calcul de la pension de réversion pourrait prendre en compte la pension du conjoint survivant. La formule suivante pourrait être proposée :
Montant de la pension totale de réversion = (2/3 de la pension du défunt) – (1/3 de la pension du conjoint survivant). Cette mesure s’accompagnerait de la suppression de la condition de ressources requise dans certains régimes et contribuerait de fait à harmoniser les conditions d’attribution de la réversion entre les régimes.

Une double proratisation

Enfin, autre axe de réforme, mettre en place un système de double proratisation des droits à réversion. La logique de la mesure étant que les droits acquis doivent correspondre aux périodes de solidarité liées au mariage. La double proratisation s’articulerait de la façon suivante :
– la pension de réversion serait proratisée en fonction de la durée d’assurance du conjoint décédé. Ainsi, la pension serait calculée au prorata de la durée du mariage par rapport à la durée d’assurance aux régimes de base du retraité décédé ;
– en cas de mariages multiples, le montant de la pension serait proratisé en fonction de la durée de chacun des mariages (rapportée à la durée de la totalité des mariages), comme c’est le cas actuellement dans la plupart des régimes de retraite. Prochaine étape : évaluer la faisabilité et le coût que représenterait la mise en place de ces différentes mesures.

Conseil d’orientation des retraites – Les droits familiaux et conjugaux : propositions de scénarios d’évolution, octobre 2024

Article publié le 22 octobre 2024 – © Les Echos Publishing 2024 – Crédit photo : ©Stina Gränfors, All rights reserved

La Cour des comptes se penche sur la fiscalité successorale

Dans un rapport récent, la Cour des comptes propose une réduction des avantages fiscaux dérogatoires (par exemple, le Pacte Dutreil et l’assurance-vie) au profit d’une baisse ciblée des taux d’imposition en veillant à maintenir le produit global de l’impôt.

Commandé en septembre 2023 par le président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, la Cour des comptes a rendu récemment son rapport sur les droits de succession. Créés en France en 1791, les droits de succession font partie, avec les droits de donation, des droits de mutation à titre gratuit (DMTG). Ils imposent la part d’héritage nette reçue par chaque héritier, en fonction de son lien de parenté avec le défunt. Souvent méconnus dans leur fonctionnement, les droits de succession sont impopulaires auprès des Français. En 2017, 87 % des Français souhaitaient que cette taxation diminue tandis que 9 % d’entre eux seulement souhaitaient qu’elle augmente. Mal acceptée, l’imposition des héritages est, par ailleurs, mal connue : 60 % des Français estimaient en 2017 que le taux moyen effectif d’imposition des transmissions en ligne directe était supérieur ou égal à 10 %, alors que ce taux était en réalité compris entre 5 et 10 %. Pourtant jugés favorablement par la théorie économique (les recettes des droits de succession ont atteint 16,6 Md€ en 2023), les droits de succession font régulièrement l’objet de propositions de réformes qui cherchent alternativement à les augmenter ou à les diminuer, voire à les supprimer totalement.

Certains dispositifs pointés du doigt

Impôt mal accepté, les droits de succession font logiquement l’objet de propositions de réformes nombreuses, qui poursuivent des objectifs différents. Certains pointent du doigt les dispositifs dérogatoires. Par exemple, les dispositifs d’exonérations fiscales bénéficiant aux transmissions d’actifs professionnels, tels que le Pacte Dutreil, qui visait, lors de sa création, à éviter que les héritiers d’un chef d’entreprise ne soient contraints, pour acquitter les droits de succession, soit de prélever sur l’entreprise des sommes excessives sous forme de dividendes, soit de céder l’entreprise à un tiers, font aujourd’hui l’objet de plusieurs critiques. Certaines études remettent en cause la pertinence de la transmission familiale en termes de performance des entreprises. D’autres, sans discuter son objectif, estiment que l’allégement des conditions de détention des actifs professionnels et l’élargissement des actifs éligibles sont susceptibles de détourner le dispositif de sa finalité initiale. Autre critique émise, l’absence d’imposition de la transmission de l’usufruit, à l’occasion de la reconstitution de la pleine propriété, ne devrait pas être une conséquence obligatoire du démembrement, d’autant plus que les biens ainsi transmis ont pu gagner en valeur entre la donation en nue-propriété et la reconstitution de la pleine propriété. À l’inverse, d’autres propositions recommandent un allégement des droits de succession, soit de façon globale, compte tenu du poids de la fiscalité du patrimoine en France, soit de façon plus ciblée pour répondre à certaines évolutions sociétales, en permettant, par exemple, une transmission plus précoce des patrimoines ou en allégeant la fiscalité applicable aux successions bénéficiant aux lignes collatérales et aux beaux-enfants. Selon la Cour des comptes, si une réforme des droits de succession avait lieu, il faudrait, avant tout, veiller à l’équilibre des finances publiques. Une baisse du montant de l’impôt devrait nécessairement être compensée par un élargissement de l’assiette fiscale. Cet impératif de préserver le rendement global de l’imposition conduit à poursuivre simultanément deux objectifs : l’élargissement de l’assiette de l’impôt à travers la réduction des avantages fiscaux attachés au « Pacte Dutreil » et à l’assurance-vie, d’une part, et une réduction ciblée des taux d’imposition, d’autre part, en faveur notamment des collatéraux ou des enfants du conjoint, destinée à mieux prendre en compte les évolutions familiales et sociétales.

Des pistes de réforme

La Cour des comptes propose de privilégier la voie d’une réduction des avantages fiscaux dérogatoires au profit d’une baisse ciblée des taux d’imposition en veillant à maintenir le produit global de l’impôt. En outre, elle a formulé plusieurs recommandations :
– rendre obligatoire la télédéclaration des successions ;
– une fois l’obligation de télédéclaration des successions mise en œuvre, désigner des agents référents au sein de chaque direction départementale des finances publiques pour assurer les relations avec les notaires ainsi que le dialogue avec les services de contrôle et l’orientation, le cas échéant, des dossiers vers ces services ;
– expertiser la mise en place d’un dispositif de transmission, par les compagnies d’assurance et les établissements bancaires, des informations relatives au nombre de bénéficiaires de chaque contrat d’assurance-vie et aux primes correspondantes, à la plate-forme e-enregistrement ;
– réaliser une étude statistique relative aux droits de mutation à titre gratuit avant toute évolution législative.

Article publié le 04 octobre 2024 – © Les Echos Publishing 2024 – Crédit photo : RICHLEGG.COM

Quasi-usufruit : certaines créances de restitution ne sont plus déductibles

L’administration fiscale a publié des précisions sur les limitations de la déductibilité d’une créance de restitution d’un nu-propriétaire dans le cadre d’une transmission de sommes d’argent avec réserve d’usufruit.

Lorsqu’une somme d’argent est transmise (par exemple, par le biais d’une donation) avec une réversion d’usufruit, on parle alors d’un quasi-usufruit. Cette situation permet à l’usufruitier de se comporter comme un véritable propriétaire, c’est-à-dire de dépenser ou de réinvestir ces sommes, à charge pour lui de les restituer à l’extinction de ses droits, c’est-à-dire à son décès. Lorsque cet évènement se produit, le quasi-usufruit s’éteint et le nu-propriétaire (le plus souvent des héritiers), titulaire d’une créance dite de restitution, deviennent alors pleins propriétaires du capital. Cette créance venant s’exercer sur l’actif de succession de l’usufruitier. Le nu-propriétaire « récupère » ainsi la propriété de la somme d’argent en franchise de droits de mutation puisque cette créance va pouvoir être déduite fiscalement de cette même succession.

Limiter les abus

Pour limiter les abus et les effets d’aubaine, la loi de finances pour 2024 a introduit notamment des dispositions visant à rendre non déductible les créances de restitution portant sur les sommes d’argent (chèque, virement, mandat ou remise d’espèces) dont le défunt s’était réservé l’usufruit. Il en va de même, en principe, lors d’une opération par laquelle le bien sur lequel le défunt s’était réservé l’usufruit est liquidé sous forme d’une somme d’argent (paiement ou remboursement d’une créance, rachat d’un contrat de capitalisation, par exemple), avec report de l’usufruit sur le prix de cession ou sur le produit de la liquidation.

Précision : lorsque les droits d’usufruit réservé et de nue-propriété du bien démembré sont, postérieurement à la cession, reportés par subrogation réelle, légale ou conventionnelle, sur un bien autre qu’une somme d’argent (tel qu’un contrat de capitalisation, des valeurs mobilières, des crypto-actifs, un compte courant d’associé, etc.), le report ne crée pas de dette de restitution portant sur une somme d’argent.

Récemment, l’administration fiscale a publié ses commentaires sur ce dispositif. Des commentaires permettant de dissiper certaines interrogations. Premier point, ces dispositions s’appliquent aux successions ouvertes à compter du 29 décembre 2023.Deuxième point, la créance de restitution exigible par le nu-propriétaire donne désormais lieu à la perception de droits de mutation par décès dus par le nu-propriétaire et calculés d’après le degré de parenté existant entre ce dernier et l’usufruitier, au moment de la succession ou de la constitution de l’usufruit, si les droits dus sont inférieurs. Étant précisé que l’imputation des droits déjà payés est applicable même si les droits de donation ont été acquittés par le donateur. Autre précision, si l’actif successoral est insuffisant pour régler la créance de restitution, le nu-propriétaire ne sera pas imposable à concurrence du montant irrécouvrable. À noter que certaines situations ne sont pas concernées par cette non-déductibilité. Tel est le cas des créances de restitution issues :
– d’un quasi-usufruit successoral (quasi-usufruit légal du conjoint survivant) ;
– de l’exercice d’un avantage matrimonial ou d’un préciput ;
– d’un quasi-usufruit mis en place dans les clauses bénéficiaires des contrats d’assurance-vie ;
– d’un quasi-usufruit résultant de la distribution de dividendes prélevés sur les réserves ;
– d’un quasi-usufruit constitué sur le prix de cession d’un bien non contracté dans un objectif principalement fiscal.

Un objectif principalement fiscal

Toutefois, dans ce dernier cas, une source d’inquiétude demeure. Pour prétendre au bénéfice de la déductibilité, le nu-propriétaire doit être en mesure de justifier que la dette n’a pas été contractée dans un objectif principalement fiscal. Des moyens de preuve qui peuvent être difficiles à apporter en pratique. Pour caractériser cette absence de but principalement fiscal, l’administration fiscale se base sur un faisceau d’indices tenant compte notamment :
– du temps écoulé entre le démembrement de propriété et la cession du bien démembré ou de l’opération assimilable. En effet, plus la durée écoulée entre le démembrement et la cession ou la liquidation des biens démembrés est longue, moins la dette de restitution sur la somme d’argent résultant de cette liquidation est susceptible d’être regardée comme poursuivant un but principalement fiscal. Cette durée est également à apprécier à la lumière de la variation à la baisse de la valeur des biens démembrés (exemples : valeurs mobilières non garanties, contrat de capitalisation en unités de comptes) ;
– des motivations patrimoniales de la cession du bien ou de l’opération assimilable. Par exemple, le report de l’usufruit sur la somme d’argent constituant le prix de cession ou le produit de la liquidation du bien démembré peut s’expliquer par la motivation patrimoniale de pallier l’insuffisance de liquidités nécessaires pour s’acquitter de dépenses d’hébergement de l’usufruitier ;
– du degré de latitude de l’usufruitier à décider du report de l’usufruit sur le prix de cession ou sur le produit de l’opération assimilable à la cession. À cet égard, en cas de cession de la nue-propriété d’un bien au prix du marché avec réserve d’usufruit par le cédant, l’exercice par le nu-propriétaire de ses droits pour permettre, tant la cession ultérieure du bien que le report de l’usufruit sur le produit de la cession permet de déduire que la dette de restitution à son profit n’a pas été contractée dans un objectif principalement fiscal. Au final, avant de mettre en œuvre certaines opérations de démembrement de propriété, il conviendra de tenir compte de ces différentes précisions afin d’éviter de tomber sous le coup de cette présomption d’objectif principalement fiscal !

BOI-ENR-DMTG-10-40-20-20 du 26 septembre 2024

Article publié le 03 octobre 2024 – © Les Echos Publishing 2024 – Crédit photo : Thai Noipho / Getty images

Comment mutualiser ses plafonds d’épargne retraite

Un ordre d’imputation des cotisations retraite doit être respecté pour pouvoir utiliser au mieux les plafonds mutualisés entre époux ou partenaires pacsés.

Les titulaires d’un Plan d’épargne retraite (PER) peuvent, chaque année, déduire fiscalement le montant de leurs cotisations dans la limite d’un plafond. Pour les couples mariés ou pacsés, il est possible de mutualiser ces plafonds. Ce qui permet à un membre du couple de profiter des plafonds inutilisés de son conjoint. Une mutualisation qui doit respecter certaines règles. Explications.

Déclarer son épargne retraite

Les plafonds de l’épargne retraite sont calculés chaque année par l’administration fiscale et pour chaque membre du foyer fiscal. Ces plafonds sont d’ailleurs indiqués dans l’avis d’imposition. Dans le détail, sont indiqués le plafond de l’année en cours mais aussi ceux des 3 dernières années. Sachant que si, au bout de 3 ans, l’épargnant n’utilise pas entièrement ses plafonds, ces derniers sont perdus définitivement. Si l’épargnant souhaite profiter des plafonds de son conjoint, il ne doit pas oublier de l’indiquer à l’administration fiscale (en cochant la case 6QR de la déclaration des revenus).

Suivre une méthode

Quelques règles doivent être respectées pour pouvoir utiliser les plafonds de son conjoint. Prenons un exemple. Patrick et Sophie sont mariés et n’ont pas d’enfants à charge. En 2023, Sophie a ouvert un PER individuel sur lequel elle a versé 35 000 €. Patrick n’a pas d’activité professionnelle. Sophie a perçu, entre 2020 et 2023, une rémunération nette de frais professionnels de 100 000 €. Pour imputer les cotisations versées par Sophie, il convient en premier lieu d’imputer les cotisations sur les plafonds de Sophie : sur le plus récent puis sur ceux des 3 années antérieures, du plus ancien au plus récent. Ensuite, le reliquat peut être imputé sur les plafonds de Patrick en suivant la même chronologie. Au final, les cotisations auront épuisé intégralement les plafonds de Sophie et une partie de ceux de son mari à hauteur de 3 000 €.À noter que l’année suivante, le reliquat du plafond de 2020 (1 052 €) sera définitivement perdu.

Imposition
Revenu imposable 100 000 €
Nombre de parts 2
Quotient familial 50 000 €
Tranche marginale d’imposition 30 %
Plafonds de déduction
Sophie Patrick
Plafond non utilisé pour les revenus de 2020 8 000 (1) 4 052 (2)
Plafond non utilisé pour les revenus de 2021 8 000 4 114
Plafond non utilisé pour les revenus de 2022 8 000 4 114
Plafond calculé sur les revenus de 2022 8 000 4 114
Plafonds non utilisés imputables sur les cotisations versées en 2023 32 000 16 394
(1) 10 % des revenus d’activité dans la limite de 8 plafonds annuels de la Sécurité sociale.
(2) Étant sans activité, le plafond de Patrick correspond à 10 % du plafond de la Sécurité sociale.

Article publié le 24 septembre 2024 – © Les Echos Publishing 2024 – Crédit photo : Westend61

Loyers impayés : comment invoquer la solidarité des dettes ménagères entre époux

Dans le cadre d’une action en paiement de loyers impayés intentée contre des époux, c’est au bailleur de prouver que le logement loué sert bien à l’habitation du couple.

Dans une affaire récente, une femme mariée avait conclu seule un bail d’habitation. 6 mois après avoir quitté le logement, le divorce d’avec son mari avait été prononcé. Et dans la mesure où des loyers restaient dus au bailleur, ce dernier avait assigné les deux époux en paiement. Saisie du litige, la cour d’appel avait condamné l’ex-mari à payer 21 400 €, soit la somme correspondant aux arriérés de loyers. En effet, comme ce dernier n’avait pas rapporté la preuve qu’il ne résidait pas dans le logement loué, les juges avaient considéré que le bail d’habitation, bien que conclu au seul nom de l’épouse, avait été souscrit pour l’entretien du ménage. Et donc que la solidarité des dettes ménagères pouvait s’appliquer. Un recours avait alors été exercé auprès de la Cour de cassation. Et cette dernière a censuré la décision de la cour d’appel. Elle a rappelé que chacun des époux a le pouvoir de passer seul les contrats qui ont pour objet l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants. Toute dette ainsi contractée par l’un oblige l’autre solidairement. En outre, le droit au bail qui sert effectivement à l’habitation de deux époux est, quel que soit leur régime matrimonial et nonobstant toute convention contraire, et même si le bail a été conclu avant le mariage, réputé appartenir à l’un et à l’autre des époux. Forte de ces constations, la Cour de cassation a censuré la décision de la cour d’appel au motif qu’elle avait inversé la charge de la preuve lorsqu’elle avait demandé à l’ex-mari de prouver qu’il ne résidait pas dans le logement. Autrement dit, pour faire condamner l’ex-mari au paiement des loyers (sur le principe de la cotitularité du bail et de la solidarité des époux au titre des dettes ménagères), il appartenait au bailleur de démontrer qu’il occupait (même de façon intermittente ou temporairement) le même logement que son ex-femme.

Cassation civile 1re, 12 juin 2024, n° 22-17231

Article publié le 06 septembre 2024 – © Les Echos Publishing 2024 – Crédit photo : Mike Kemp / Getty images