Les procédures de prévention des difficultés des entreprises

Lorsqu’une entreprise connaît des difficultés économiques ou financières avérées ou prévisibles, elle a tout intérêt à saisir rapidement la justice pour bénéficier de dispositifs qui vont permettre de traiter de manière préventive, amiable et confidentielle ces difficultés et éviter un dépôt de bilan. Ces dispositifs préventifs, que sont le mandat ad hoc et la procédure de conciliation, sont relativement méconnus des chefs d’entreprise. Pourtant, ils se révèlent très efficaces car, selon les statistiques établies par les tribunaux de commerce, 70 à 80 % d’entre eux aboutissent à un accord entre le chef d’entreprise et ses principaux créanciers.

Le mandat ad hoc

Demandé par le chef d’entreprise, le mandat ad hoc est l’un des dispositifs judiciaires de prévention des difficultés des entreprises. Son principal atout réside dans sa grande souplesse.

En quoi consiste le mandat ad hoc ?

Le mandat ad hoc est un dispositif phare en matière de prévention des difficultés des entreprises. Il s’agit d’un dispositif aux contours particulièrement souples. Il consiste pour le chef d’une entreprise (entreprise individuelle, société) en proie à des difficultés économiques ou financières à demander au président du tribunal de commerce ou du tribunal judiciaire, selon l’activité exercée (commerciale, artisanale, libérale ou agricole), qu’il désigne une personne habilitée pour tenter de trouver une solution à ces difficultés. Ces difficultés peuvent résulter, par exemple, de la dénonciation d’un concours financier par le banquier, du non-renouvellement d’un contrat par un client ou encore de l’assignation en justice par un fournisseur impayé. Mais attention, seules les entreprises qui ne sont pas en état de cessation des paiements peuvent recourir au mandat ad hoc.

À noter : le recours à un mandataire ad hoc est également possible en cas de conflit interne entre associés ou de problème de gouvernance. Il pourra lors avoir pour mission de négocier des conventions, de convoquer des assemblées…

Le rôle du mandataire ad hoc

Une fois qu’il est désigné, le mandataire ad hoc — ce peut-être un administrateur judiciaire ou toute autre personne compétente pouvant être proposée par le chef d’entreprise lui-même — va être chargé d’une mission définie par le tribunal, à savoir, en matière de difficultés économiques d’une entreprise, d’inciter et de favoriser la négociation entre le chef d’entreprise et ses principaux créanciers pour parvenir à la conclusion d’un accord. Accord qui pourra, par exemple, prévoir des délais de paiement et/ou des remises de dette et qui aura pour objet de permettre à l’entreprise de redresser sa situation.

Volontaire, amiable et confidentiel

L’un des gros avantages du recours au mandat ad hoc réside dans son caractère volontaire, souple et amiable. En effet, le chef d’entreprise prend lui-même l’initiative de déclencher la procédure en saisissant la justice. Il conserve tous ses pouvoirs de gestion pendant la durée de la mission du mandataire et œuvre aux côtés de ce dernier pour trouver une issue à ses difficultés. L’autre principal atout de cette procédure étant sa confidentialité (pas de publicité de l’ouverture de la procédure ni de l’existence de l’accord conclu avec les créanciers), le mandataire ad hoc étant d’ailleurs tenu à une obligation de confidentialité.

Et en cas d’échec ?

Lorsqu’aucune solution amiable n’aura pu être trouvée, le mandataire ad hoc rendra compte de son échec au président du tribunal. Le chef d’entreprise devra alors s’orienter vers une autre procédure de prévention (la procédure de conciliation) voire faire l’objet d’une procédure collective.

La procédure de conciliation

Déclenchée, comme le mandat ad hoc, à l’initiative du dirigeant de l’entreprise en difficulté, la procédure de conciliation a pour objet de permettre de trouver un accord entre ce dernier et ses principaux créanciers.

En quoi consiste la procédure de conciliation ?

La procédure de conciliation est ouverte à toute entreprise (individuelle, société) exerçant une activité commerciale ou artisanale, aux personnes morales de droit privé, aux personnes physiques exerçant une activité professionnelle indépendante – y compris les professions libérales réglementées –, qui éprouve des difficultés avérées ou prévisibles ou qui se trouve en état de cessation des paiements depuis 45 jours au plus.

À noter : les entreprises agricoles sont écartées de ce dispositif car elles bénéficient d’une procédure spécifique (le règlement amiable).

La conciliation vise essentiellement à permettre à l’entreprise de conclure avec ses principaux créanciers ainsi que, le cas échéant, ses cocontractants habituels, un accord amiable destiné à mettre fin à ses difficultés. La négociation de cet accord est confiée à un conciliateur désigné par le président du tribunal de commerce ou par le président du tribunal judiciaire (selon le type d’entreprise concernée). Gros avantage, la conciliation est gouvernée par un principe de confidentialité : l’ouverture de la procédure ne donne lieu à aucune publicité ; toute personne appelée à la conciliation ou qui, par ses fonctions, en a connaissance, est tenue à la confidentialité.

L’ouverture de la procédure

La procédure de conciliation est déclenchée à l’initiative du chef d’entreprise lui-même qui saisit à cet effet, par requête, le président du tribunal de commerce (pour les entreprises exerçant une activité commerciale ou artisanale) ou le président du tribunal judiciaire (dans les autres cas).S’il accepte cette requête, le président du tribunal ordonne la conciliation et désigne un conciliateur, dont il fixe la mission et la rémunération. Sachant que dans le cadre de sa requête, le chef d’entreprise peut lui-même proposer au tribunal le nom d’un conciliateur.

La conclusion d’un accord

Le conciliateur a 5 mois au plus pour rechercher un accord entre l’entreprise et ses partenaires. En fait, il est désigné pour une durée initiale de 4 mois maximum. Mais il peut solliciter un renouvellement sans que la durée totale (durée initiale + renouvellement) puisse excéder 5 mois. Pendant toute la durée de la procédure, les poursuites des créanciers ne sont pas suspendues. Ces derniers peuvent donc continuer d’agir en paiement à l’encontre du chef d’entreprise. Toutefois, au cours de la procédure, le chef d’entreprise peut demander au tribunal de suspendre l’exigibilité de la créance d’un créancier, ainsi que les poursuites individuelles que ce dernier engagerait contre l’entreprise. Et si ce créancier refuse de suspendre ses poursuites durant les négociations, le chef d’entreprise peut demander au juge qu’il reporte ou qu’il échelonne, dans la limite de 2 ans, le paiement des sommes qu’il doit à l’intéressé. Le chef d’entreprise peut également demander des délais de paiement au juge. L’accord conclu dans le cadre de la conciliation emporte, cette fois, arrêt des poursuites individuelles contre l’entreprise par les créanciers parties à l’accord en ce qui concerne les créances qui en font l’objet.

À noter : l’arrêt des poursuites bénéficie également aux personnes ayant consenti une sûreté personnelle en faveur de l’entreprise (les cautions notamment) ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie d’une dette de celle-ci.

L’accord ainsi obtenu peut prévoir des délais de paiement, des remises de dettes ou encore des remises d’intérêts et de pénalités de retard. Il peut être simplement constaté par le président du tribunal ou homologué. L’accord simplement constaté ne fait l’objet d’aucune publicité et n’est opposable qu’à ses seuls signataires. Il reste donc confidentiel. L’accord homologué, quant à lui, fait l’objet d’une mesure de publicité tout au moins quant à son existence, son contenu demeurant confidentiel.

À noter : l’homologation doit être demandée au tribunal par le débiteur. Elle n’est possible que si les conditions suivantes sont réunies :

– l’entreprise n’est pas en cessation des paiements ou l’accord conclu y met fin ;

– les termes de l’accord sont de nature à assurer la pérennité de l’entreprise ;

– l’accord ne porte pas atteinte aux intérêts des créanciers non-signataires.

Article publié le 01 mars 2024 – © Les Echos Publishing 2024 – Crédit photo : © 2016 Thomas M. Barwick INC

Forte hausse des défaillances d’entreprises en 2023

Après avoir chuté de 40 % entre 2020 et 2022, les défaillances d’entreprises sont reparties à la hausse en 2023. Leur nombre a atteint 56 601, soit 8 % de plus qu’en 2019.

Si le « quoi qu’il en coûte » a permis à de nombreuses entreprises de passer le cap de la crise sanitaire et de ses périodes de confinement, la fin des aides et l’environnement économique chaotique de 2023 ont fait repartir le nombre de procédures de redressement ou de liquidation à la hausse. Selon la dernière étude de BPCE, pas moins de 56 601 défaillances d’entreprises ont ainsi été enregistrées en 2023. Pour rappel, leur nombre était de 52 329 en 2019, dernière année de référence avant que le soutien massif de l’État ne vienne artificiellement en faire chuter le nombre (42 099 en 2022, 26 060 en 2021 et 32 455 en 2020). Une hausse de 8 % par rapport à 2019 que les spécialistes de BPCE attribuent à un effet de rattrapage, mais aussi à une année 2023 marquée par une très faible croissance économique (+0,9 % selon l’Insee), une hausse des coûts, notamment de financement (provoquée par la flambée des taux initiée par les banques centrales pour contrer l’inflation), mais aussi les remboursements de PGE et des dettes Urssaf.

Les grosses PME en première ligne

Contre toute attente, les plus petites structures, celles employant moins de 3 salariés ont été les moins touchées par la hausse du nombre de défaillances. L’augmentation n’est ici que de 2 % alors qu’elle atteint 44 % pour les entreprises de plus de 100 salariés. 197 PME-ETI ont ainsi été concernées par une procédure de redressement ou de liquidation l’an dernier. Un plus haut historique depuis la crise financière de 2008 qui se traduit par un nombre très élevé d’emplois menacés : 240 000, soit 27 % de plus qu’en 2019. En termes de secteur, l’étude note une forte corrélation entre la dégradation de l’environnement économique observée en 2023 (produits frappés par l’inflation, hausse des taux, prudence des consommateurs…) et les défaillances. Les transports routiers de marchandises, les activités financières et d’assurance, l’immobilier ou encore la restauration ont particulièrement souffert. Le repli de la consommation des ménages a également entraîné un sursaut des défaillances dans le commerce alimentaire, la vente automobile ou encore les services aux particuliers (salons de coiffure, soins de beauté et corporels…). On remarque également, sur la toute fin 2023, une aggravation des défaillances frappant les entreprises du bâtiment.

Vers une nouvelle hausse en 2024

Selon la BPCE, « en 2024, les défaillances d’entreprises devraient à nouveau progresser et pourraient atteindre 62 000 évènements (+10 % par rapport à 2023) ». Compte tenu du maintien des taux d’intérêt élevés et de la prudence des ménages, l’immobilier, la construction et la restauration devraient connaître une dégradation de leur situation. Sous l’effet de l’érosion des marges et des mutations à l’œuvre (arrivée des intelligences artificielles), le nombre de défaillances dans les services aux entreprises pourrait également s’accroître. En revanche, compte tenu du reflux de l’inflation attendu, le commerce de détail, l’agroalimentaire et les services aux personnes pourraient être moins affectés en 2024.
Ces 62 000 défaillances devraient menacer 250 000 emplois cette année, estime la BPCE.

Article publié le 19 janvier 2024 – © Les Echos Publishing 2024 – Crédit photo : Tim Garcha / Getty Images

L’instauration à titre expérimental de tribunaux des activités économiques

Des tribunaux des activités économiques, compétents notamment pour traiter des difficultés des entreprises, seront prochainement mis en place à titre expérimental.

La récente loi de programmation de la justice prévoit de mettre en place, à titre expérimental pendant une durée de 4 ans, une dizaine de tribunaux compétents notamment en matière de prévention et de traitement des difficultés des entreprises. Baptisés « tribunaux des activités économiques » (TAE), ces tribunaux seront composés des juges élus du tribunal de commerce, de juges exerçant la profession d’exploitant agricole et d’un greffier. Ils seront donc compétents notamment pour connaître des procédures de mandat ad hoc, de règlement amiable des agriculteurs, de conciliation, de sauvegarde, de redressement et de liquidation judiciaires, et ce quels que soient le statut (entreprise individuelle, professionnel libéral, société commerciale ou civile, groupement agricole, association) et l’activité (commerciale, artisanale, libérale, agricole) de l’entreprise ou de la structure en difficulté (exception faite des professions réglementées du droit qui continueront à relever des tribunaux judiciaires).

Rappel : actuellement, les tribunaux de commerce sont compétents en matière de prévention et de traitement des difficultés des entreprises lorsque ces dernières exercent une activité commerciale ou artisanale, y compris lorsqu’elles ont la forme d’une société commerciale, ou une activité agricole lorsqu’elles ont la forme d’une société commerciale. Pour connaître des difficultés des sociétés civiles, des professionnels libéraux, des exploitants agricoles à titre individuel, des sociétés civiles d’exploitation agricole et des groupements agricoles (Gaec, GFA) et des associations, ce sont les tribunaux judiciaires qui sont compétents.

Les TAE auront également vocation à connaître des actions et des contestations relatives aux baux commerciaux lorsqu’elles seront nées d’une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire ou en lien avec une telle procédure. Les règles de procédure applicables devant les TAE seront celles actuellement applicables devant les tribunaux de commerce. Une particularité toutefois : une contribution financière devra être versée par les entreprises de plus de 250 salariés pour pouvoir saisir ces tribunaux. Devant les TAE, la représentation par un avocat sera facultative dans les mêmes cas que ceux actuellement prévus pour les tribunaux de commerce, à savoir notamment dans le cadre des procédures de prévention et de traitement des difficultés des entreprises.

Précision : un décret à paraître viendra préciser les modalités d’application de cette mesure et un arrêté désignera les tribunaux concernés.

Art. 26, loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023, JO du 21

Article publié le 06 décembre 2023 – © Les Echos Publishing 2023 – Crédit photo : Helen King / Getty Images

Entreprises en difficulté : la procédure de traitement de sortie de crise est réouverte

La procédure judiciaire simplifiée de « traitement de sortie de crise », qui avait été instaurée, à titre temporaire, jusqu’au mois de juin 2023, est reconduite. Elle a pour objet de permettre aux petites entreprises de régler rapidement leurs difficultés et de faciliter ainsi leur rebond.

En 2021, au moment où l’épidémie de Covid-19 sévissait encore, les pouvoirs publics avaient instauré, à titre temporaire jusqu’au 2 juin 2023, une nouvelle procédure judiciaire de traitement des difficultés des entreprises visant à permettre l’adoption rapide d’un plan d’apurement de leurs dettes causées ou aggravées par la crise sanitaire et à faciliter ainsi leur rebond. Depuis le 2 juin dernier, cette procédure, dite de « traitement de sortie de crise », ne pouvait donc plus être utilisée. Mais elle vient d’être reconduite pour une nouvelle période de 2 ans. Ainsi, à compter du 22 novembre 2023 et jusqu’au 21 novembre 2025, les petites entreprises en difficulté pourront demander l’ouverture d’une telle procédure. Pour rappel, la procédure de traitement de sortie de crise s’adresse aux petites entreprises, à savoir celles :
– qui emploient moins de 20 salariés et qui ont moins de 3 M€ de passif hors capitaux propres ;
– qui exercent une activité commerciale, artisanale, agricole ou libérale ;
– qui se retrouvent en situation de cessation des paiements, mais qui disposent néanmoins des fonds disponibles pour payer leurs salariés ;
– et qui sont en mesure d’élaborer, dans un délai maximal de 3 mois, un projet de plan tendant à assurer leur pérennité.

Rappel : une entreprise est en cessation des paiements lorsqu’elle est dans l’impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible.

Une procédure courte et simple

Cette procédure ne peut être ouverte qu’à la demande du chef d’entreprise, donc pas de ses créanciers ni du ministère public. Une fois la procédure ouverte, le tribunal désigne un mandataire chargé de surveiller la gestion de l’entreprise et de représenter les créanciers. Débute alors une période d’observation de 3 mois au cours de laquelle un plan de continuation de l’activité doit être élaboré par le chef d’entreprise avec l’assistance du mandataire. Pendant cette période, c’est l’entreprise qui doit dresser et déposer au greffe du tribunal la liste des créances de chacun de ses créanciers. Ces derniers, auxquels cette liste est communiquée, peuvent alors présenter au mandataire leurs observations et leurs éventuelles contestations sur le montant et l’existence des créances.

Précision : au bout de 2 mois, le tribunal n’ordonne la poursuite de la procédure que s’il apparaît que l’entreprise dispose de capacités de financement suffisantes. De leur côté, à tout moment de la procédure, le mandataire, le ministère public ou le chef d’entreprise peuvent demander au tribunal d’y mettre fin si l’élaboration d’un plan de continuation ne semble pas envisageable dans le délai de 3 mois.

Dès lors que les créances ne sont pas contestées, les engagements de l’entreprise pour le règlement de ses dettes sont pris sur la base de la liste des créances qu’elle a déposée. Le plan élaboré dans le délai de 3 mois peut prévoir un échelonnement du paiement des dettes de l’entreprise sur plusieurs années. Il ne concerne que les créances mentionnées dans la liste déposée par l’entreprise et nées avant l’ouverture de la procédure.

Attention : les créances salariales ne peuvent pas être concernées par le plan de continuation et ne peuvent donc pas faire l’objet de délais de paiement ou de remises.

À l’inverse, si à l’issue des 3 mois, un plan crédible n’a pas pu être arrêté, le tribunal peut convertir la procédure en redressement voire en liquidation judiciaire.

Art. 46, loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023, JO du 21

Article publié le 28 novembre 2023 – © Les Echos Publishing 2023 – Crédit photo : © 2013 Thomas M. Barwick INC

Suspension des actions en paiement contre une entreprise en liquidation judiciaire

L’action en paiement engagée par un créancier contre une entreprise après l’ouverture de la procédure collective dont elle fait l’objet est irrecevable en vertu du principe de la suspension des poursuites.

Lorsqu’une entreprise fait l’objet d’une procédure collective (sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire), ses créanciers ne peuvent plus, à compter du jugement d’ouverture de cette procédure, agir contre elle en vue d’obtenir le paiement d’une créance impayée née avant ce jugement. De même, les actions en justice qui sont en cours au moment de l’ouverture de la procédure collective sont suspendues. Application de ce principe, dit de l’arrêt des poursuites individuelles, vient d’être faite dans l’affaire récente suivante. Un particulier avait fait appel à une entreprise pour fournir et poser trois portes dans un logement lui appartenant. L’entreprise ayant été défaillante, il l’avait mise en demeure d’achever les travaux et de lui payer une pénalité de retard. Quelques mois plus tard, cette entreprise avait été mise en liquidation judiciaire. Le client lui avait alors réclamé en justice des dommages-intérêts pour manquement à ses obligations contractuelles. Mais cette action a été déclarée irrecevable par les juges. En effet, ces derniers ont rappelé que lorsqu’il agit en paiement d’une créance impayée, non pas avant mais après l’ouverture de la procédure collective (en l’occurrence, la procédure de liquidation judiciaire) dont son débiteur fait l’objet, un créancier n’a pas d’autre choix que faire constater le principe de sa créance et en faire fixer le montant en la déclarant auprès des organes chargés de la procédure et en se soumettant à la procédure de vérification du passif.

Précision : sauf s’il s’agit d’un créancier prioritaire (administration fiscale, Urssaf…), les chances du créancier d’une entreprise en liquidation judiciaire d’être payé dans le cadre de cette procédure sont très minces…

Cassation commerciale, 18 octobre 2023, n° 22-18075

Article publié le 21 novembre 2023 – © Les Echos Publishing 2023 – Crédit photo : run inc

Résidence principale d’un entrepreneur individuel : à lui de le prouver !

Pour pouvoir s’opposer à la saisie d’un bien immobilier qui lui appartient et qui, selon lui, constitue sa résidence principale, un entrepreneur individuel placé en liquidation judiciaire doit être en mesure de prouver qu’il s’agit bien de sa résidence principale et non pas de sa résidence secondaire.

La résidence principale d’un entrepreneur individuel est insaisissable de plein droit par ses créanciers professionnels. Du coup, elle ne peut pas être saisie par le liquidateur lorsque l’entrepreneur individuel est en liquidation judiciaire. Mais attention, c’est à l’entrepreneur individuel qui se prévaut de l’insaisissabilité d’une résidence lui appartenant de prouver qu’au jour de l’ouverture de la procédure collective dont il fait l’objet, cette résidence constituait bien sa résidence principale. C’est ce que les juges ont rappelé dans une affaire récente dans laquelle un entrepreneur avait été placé en redressement judiciaire, puis en liquidation judiciaire. Le liquidateur judiciaire avait alors demandé au juge-commissaire de l’autoriser à vendre aux enchères publiques un bien immobilier appartenant à l’entrepreneur. Mais ce dernier avait fait valoir qu’il s’agissait de sa résidence principale et qu’elle ne pouvait donc pas être saisie. Du coup, le juge-commissaire avait rejeté la demande du liquidateur judiciaire car, selon lui, il appartenait à ce dernier de démontrer que ce bien immobilier ne constituait pas la résidence principale de l’intéressé au jour de l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire. Saisie du litige, la Cour de cassation a, au contraire, affirmé que c’était à l’entrepreneur individuel de démontrer qu’au jour de sa mise en redressement judiciaire, le bien immobilier constituait sa résidence principale et non pas une résidence secondaire.

Cassation commerciale, 25 octobre 2023, n° 21-21694

Article publié le 14 novembre 2023 – © Les Echos Publishing 2023 – Crédit photo : nick@nickdolding.co.uk

Quand la procédure de liquidation judiciaire d’une société est étendue à son dirigeant

En cas de relations financières anormales entre une société et son dirigeant, caractérisant une confusion de patrimoines entre eux, la procédure de liquidation judiciaire ouverte à l’encontre de la société peut être étendue au dirigeant.

Lorsqu’il apparaît que le patrimoine d’une société et celui de son dirigeant ont été confondus, la procédure collective (sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire) dont la société fait l’objet peut être étendue à son dirigeant.

En pratique : la confusion des patrimoines est invoquée par le mandataire ou par le liquidateur judiciaire qui espère ainsi élargir ses chances de recouvrer les sommes qui sont dues aux créanciers. En effet, en cas d’extension de la procédure, les biens du dirigeant peuvent faire l’objet de mesures conservatoires, puis être vendus pour régler les créanciers de la société.

Des relations financières anormales

La confusion des patrimoines est retenue par les juges lorsqu’ils constatent l’existence de relations financières anormales entre la société et son dirigeant. Tel a été le cas dans l’affaire récente suivante. L’associé gérant d’une SARL avait procédé à son profit à des retraits en espèces et à des virements importants (88 000 €) depuis le compte bancaire de la société. Lorsque la SARL avait été placée en liquidation judiciaire, le liquidateur avait estimé que ces transferts d’argent étaient injustifiés et avait donc demandé que la procédure de liquidation judiciaire soit étendue à l’associé gérant. Pour sa défense, ce dernier avait fait valoir qu’il n’y avait rien eu d’anormal puisque que les sommes ainsi prélevées avaient été inscrites au débit de son compte courant d’associé et qu’elles constituaient donc une dette à l’égard de la société. Mais les juges n’ont pas été de cet avis. Pour eux, le seul fait que les sommes en question aient été inscrites sur le compte courant de l’associé gérant ne permettait pas d’exclure l’anormalité des virements et retraits opérés sans contrepartie par l’intéressé à son profit. La procédure de liquidation judiciaire ouverte à l’encontre de la société pouvait donc valablement être étendue au gérant.

Cassation commerciale, 13 septembre 2023, n° 21-21693

Article publié le 26 octobre 2023 – © Les Echos Publishing 2023 – Crédit photo : South_agency

Résiliation d’un contrat de location par le jeu d’une clause résolutoire

Lorsqu’une clause résolutoire présente dans un contrat de location a produit ses effets avant que le locataire soit placé en redressement judiciaire, le loueur est parfaitement en droit d’obtenir la résiliation du bail en application de cette clause.

Souvent, les contrats de bail comportent une clause, dite « résolutoire », qui prévoit que le bail sera résilié de plein droit (c’est-à-dire automatiquement) en cas de manquement du locataire à certaines de ses obligations, en particulier en cas de défaut de paiement du loyer.


En pratique : pour mettre en œuvre une clause résolutoire, le bailleur doit d’abord délivrer un « commandement » au locataire par acte d’huissier de justice. Ce commandement doit mentionner le délai d’un mois dont dispose ce dernier pour remédier au(x) manquement(s) qui lui est(sont) reproché(s). Et si, à l’expiration de ce délai, le locataire ne s’est pas exécuté, le bail est résilié.

L’intérêt d’une clause résolutoire

Intérêt d’une clause résolutoire : dès lors qu’il constate un manquement du locataire à un engagement prévu par la clause, manquement qui a persisté un mois après une mise en demeure, le juge, saisi par le bailleur, doit prononcer la résiliation du bail, même si ce manquement est minime. Autrement dit, en présence d’une clause résolutoire, le juge ne dispose plus d’aucun pouvoir d’appréciation.Et la clause résolutoire est également utile au cas où le locataire serait placé en redressement ou en liquidation judiciaire. Mais à condition de la faire jouer avant qu’une telle procédure soit ouverte. Car une fois que la procédure de redressement ou de liquidation est ouverte, les créanciers ne peuvent plus engager contre l’entreprise qui en fait l’objet une action en justice pour obtenir la résiliation d’un contrat pour défaut de paiement d’une somme d’argent (par exemple, un loyer).Ainsi, dans une affaire récente, un loueur de véhicules avait mis en demeure une société cliente de lui régler, sous 8 jours (en l’occurrence le 1er octobre 2019 au plus tard), 197 000 € d’arriérés de loyers, faute de quoi il ferait jouer la clause résolutoire prévue dans le contrat de location. Cette mise en demeure étant restée sans effet, le loueur avait obtenu du juge des référés une ordonnance constatant l’acquisition de la clause résolutoire et ordonnant la restitution des véhicules. Par la suite, cette ordonnance avait fait l’objet d’un appel tandis que la société locataire avait été mise en redressement judiciaire.Du coup, le loueur était-il encore en droit d’agir contre cette dernière ? La Cour de cassation a répondu par l’affirmative : un créancier peut très bien demander la résiliation d’un contrat de location en faisant jouer une clause résolutoire ayant produit ses effets avant le jugement d’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire. Dans cette affaire, la clause résolutoire avait été acquise à l’issue du délai de 8 jours laissé à la société locataire pour payer les loyers (soit le 1er octobre 2019), donc avant le prononcé du jugement d’ouverture du redressement judiciaire le 26 décembre 2019. Le loueur de véhicules était donc en droit d’obtenir la résiliation du bail.Cassation commerciale, 13 septembre 2023, n° 22-12047

Article publié le 09 octobre 2023 – © Les Echos Publishing 2023 – Crédit photo : Ghislain & Marie David de Lossy

Insaisissabilité de la résidence principale : à condition d’y habiter !

Pour pouvoir s’opposer à la saisie d’un bien immobilier qui constitue sa résidence principale, un entrepreneur individuel placé en liquidation judiciaire doit être en mesure de prouver qu’au jour de l’ouverture de la liquidation judiciaire, il s’agissait bien de sa résidence principale.

Vous le savez : la résidence principale d’un entrepreneur individuel est insaisissable de plein droit par ses créanciers professionnels. Mais à condition qu’il s’agisse bien de sa résidence principale, c’est-à-dire qu’il y habite vraiment !Ainsi, dans une affaire récente, un entrepreneur individuel placé en liquidation judiciaire n’a pas été admis à se prévaloir de l’insaisissabilité d’une maison d’habitation, faute d’avoir pu prouver qu’il s’agissait bien de sa résidence principale au jour de l’ouverture de la liquidation judiciaire.

À noter : c’est à l’entrepreneur individuel qui se prévaut de l’insaisissabilité d’un bien immobilier de prouver qu’au jour de l’ouverture de la procédure collective, ce bien constituait sa résidence principale.

Exerçant son activité professionnelle en Guadeloupe, cet entrepreneur, placé en liquidation judiciaire en 2017, avait vu l’un de ses biens immobiliers, situé dans le Val-d’Oise, mis en vente par adjudication sur requête du liquidateur judiciaire. Faisant valoir qu’il s’agissait de sa résidence principale, il s’était opposé à cette vente forcée. Pour le prouver, il avait produit un certificat de travail attestant d’un emploi occupé en 2017-2018 dans une commune du Val-d’Oise proche de celle où était situé le bien immobilier concerné ainsi que des courriers de la caisse d’assurance-maladie du Val-d’Oise envoyés à cette même époque à l’adresse de ce bien immobilier. Mais les juges ont estimé que ces arguments n’étaient pas suffisants pour établir que ce bien immobilier correspondait à la résidence principale de l’intéressé. En effet, selon des documents rapportés par la direction des finances publiques, il apparaissait que ce dernier n’avait jamais payé de taxe d’habitation pour ce bien, celle-ci ayant, au contraire, été émise au nom d’un locataire. En outre, le fonds de commerce situé en Guadeloupe était exploité personnellement par l’entrepreneur. Cet entrepreneur n’a donc pas pu s’opposer à la vente forcée de ce bien immobilier dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire dont il faisait l’objet.

Cassation commerciale, 14 juin 2023, n° 21-24207

Article publié le 28 août 2023 – © Les Echos Publishing 2023 – Crédit photo : turkstockfotograf@gmail.com

Arrêt des poursuites contre une entreprise mise en redressement judiciaire

Lorsqu’une entreprise est placée en redressement judiciaire, ses créanciers peuvent-ils agir en justice contre elle ou contre ses dirigeants pour obtenir le paiement des sommes qu’elle leur doit ?

À partir du moment où une entreprise fait l’objet d’une procédure collective (sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire), ses créanciers ne peuvent plus agir contre elle pour obtenir le paiement d’une somme d’argent au titre d’une créance née avant l’ouverture de cette procédure. Sachant que cette mesure ne concerne que les actions dirigées contre le débiteur (la société ou l’entrepreneur individuel), mais pas celles visant les dirigeants, si le débiteur est une société, pour les fautes personnelles qu’il aurait commises. Ainsi, par exemple, l’administration fiscale serait en droit de poursuivre un dirigeant qui aurait commis une faute personnelle en ayant manqué, de façon répétée, aux obligations fiscales de la société ou en s’étant livré à des manœuvres frauduleuses en vue d’empêcher le recouvrement des impôts dûs par celle-ci.

Article publié le 24 mai 2023 – © Les Echos Publishing 2023