Suppression du poste de directeur général d’une société anonyme : une révocation ?

La décision du conseil d’administration d’une société anonyme de confier au président les fonctions exercées jusqu’alors par le directeur général et donc de mettre un terme au mandat de ce dernier ne constitue pas une révocation.

Dans une société anonyme (SA), la direction générale est assumée soit par le président du conseil d’administration, soit par un directeur général nommé par le conseil d’administration. Le choix entre ces deux modes d’exercice de la direction générale de la société appartient au conseil d’administration. À ce titre, dans une affaire récente, le conseil d’administration d’une SA avait décidé de confier au président les fonctions exercées jusqu’alors par le directeur général, ce qui avait eu évidemment pour conséquence de mettre fin au mandat de ce dernier. L’ex-directeur général avait alors estimé qu’il avait été révoqué sans juste motif et agi contre la société en paiement de dommages-intérêts.

Pas une révocation

Mais les juges n’ont pas été de cet avis. Pour eux, la décision du conseil d’administration d’une société anonyme de confier à son président la direction générale de la société, qui a pour effet de mettre fin aux fonctions jusqu’alors exercées par le directeur général, ne constitue pas une révocation de ce dernier, sauf si celui-ci démontre que cette décision a été prise dans le but de l’évincer de son mandat social. Or, dans cette affaire, le directeur général n’ayant pas été révoqué de son mandat pour être remplacé par un nouveau directeur général et son mandat ayant été supprimé du fait de la réunion des deux fonctions entre les mains du président du conseil d’administration, il ne démontrait pas que cette suppression avait pour but de l’évincer et qu’il avait été révoqué de façon abusive.

Cassation commerciale, 4 avril 2024, n° 22-19991

Article publié le 25 avril 2024 – © Les Echos Publishing 2024 – Crédit photo : Westend61 / Getty images

Abus de majorité et décision prise à l’unanimité des associés

Une décision prise à l’unanimité des associés ne peut pas être constitutive d’un abus de majorité.

Lorsque les associés majoritaires d’une société prennent une décision contraire à l’intérêt de celle-ci et dans l’unique but de les favoriser au détriment des associés minoritaires, cette décision constitue un abus de majorité. À ce titre, les juges, en l’occurrence, la Cour de cassation, ont précisé récemment qu’une décision ne peut pas être constitutive d’un abus de majorité lorsqu’elle est prise à l’unanimité des associés. Dans cette affaire, le gérant et associé majoritaire ainsi que l’associé minoritaire d’une société avaient consenti une promesse de cession de la totalité des actions de la société au profit d’une tierce personne. Quelque temps avant la réitération de la promesse, l’assemblée générale des associés (l’associé majoritaire l’associé minoritaire) avait décidé d’octroyer une prime exceptionnelle de 83 000 € au gérant. Après la cession, le nouveau dirigeant de la société avait refusé de verser cette prime à l’ancien gérant, considérant que la décision qui la prévoyait était constitutive d’un abus de majorité et devait donc être annulée, et ce même si l’associé minoritaire avait voté en sa faveur. Mais il n’a pas obtenu gain de cause car la décision litigieuse avait été prise à l’unanimité des associés.

Cassation commerciale, 8 novembre 2023, n° 22-13851

Article publié le 29 mars 2024 – © Les Echos Publishing 2024 – Crédit photo : skynesher / Getty Images

Qui décide de l’augmentation de la rémunération du directeur général de SA ?

L’augmentation de la rémunération du directeur général de société anonyme doit faire l’objet d’une décision préalable du conseil d’administration.

Le conseil d’administration d’une société anonyme dispose d’une compétence exclusive pour déterminer la rémunération du directeur général (DG). Une rémunération perçue sans décision préalable du conseil d’administration serait irrégulière et pourrait donc faire l’objet d’une demande en restitution par la société. Prévue par la loi, cette compétence exclusive du conseil d’administration pour fixer la rémunération du DG vaut également pour l’augmentation de sa rémunération. C’est ce que les juges ont réaffirmé dans l’affaire récente suivante. La rémunération du directeur général d’une SA avait été fixée par le conseil d’administration lors de sa nomination. Par la suite, au cours de son mandat, ce DG avait procédé unilatéralement à plusieurs augmentations de sa rémunération. Après qu’il avait quitté la société, celle-ci lui avait réclamé la restitution des augmentations qu’il s’était allouées sans l’accord du conseil d’administration. Les juges ont donné gain de cause à la société.

À noter : dans cette affaire, l’argument selon lequel les augmentations de la rémunération du DG n’avaient fait l’objet d’aucune dissimulation administrative ou comptable n’a pas trouvé grâce aux yeux des juges. De même que celui selon lequel la rémunération résultant des augmentations était cohérente avec celle perçue par le précédent DG et avec la taille de la société.

Cassation commerciale, 24 janvier 2024, n° 22-13683

Article publié le 19 mars 2024 – © Les Echos Publishing 2024 – Crédit photo : © 2016 Thomas M. Barwick INC

L’héritier d’un associé de SARL peut-il renoncer à sa demande d’agrément ?

Lorsque sa demande d’agrément pour devenir associé a été rejetée, l’héritier d’un associé de SARL décédé peut, à tout moment, renoncer à cette demande et exiger des autres associés qu’ils lui remboursent la valeur des parts sociales dont il a hérité.

Très souvent, les statuts de SARL prévoient que les héritiers d’un associé décédé devront, pour pouvoir devenir eux-mêmes associés, être agréés par les associés survivants. En cas de refus d’agrément, les autres associés sont alors tenus, dans un délai de 3 mois à compter de ce refus, d’acheter ou de faire acheter, soit par des tiers, soit par la société elle-même, les parts sociales que l’héritier a reçues de la succession. Ce délai pouvant être prolongé par décision de justice pour 6 mois au plus. Et si les parts ne sont pas achetées dans le délai imparti, l’agrément est réputé acquis. À ce titre, dans une affaire récente, les associés d’une SARL avaient refusé d’agréer l’héritier de l’un d’entre eux après son décès. Ils avaient alors demandé la désignation d’un expert pour qu’il fixe le prix de la valeur des parts sociales considérées. Toutefois, après que ce prix avait été fixé, ils n’avaient pas acquis les parts sociales. L’héritier avait alors renoncé à sa demande d’agrément et avait agi en justice pour forcer les associés à lui payer le prix fixé par l’expert. La cour d’appel avait donné tort à l’héritier, estimant que son agrément était réputé acquis, faute pour les associés d’avoir acheté les parts sociales dans le délai imparti.

Renoncer à tout moment à une demande d’agrément

Mais la Cour de cassation n’a pas été de cet avis. Pour elle, l’héritier d’un associé décédé qui a demandé à être agréé peut, à tout moment, même après la fixation par un expert du prix des parts sociales dont il a hérité, renoncer à sa demande d’agrément et exiger le remboursement de la valeur de ces parts. Les associés sont alors tenus d’acquérir ou de faire acquérir ces parts au prix fixé par l’expert.

Cassation commerciale, 24 janvier 2024, n° 21-25416

Article publié le 11 mars 2024 – © Les Echos Publishing 2024 – Crédit photo : www.peopleimages.com

La rémunération du gérant associé d’une EURL doit être approuvée !

L’associé unique gérant d’une EURL qui se verse une rémunération doit veiller à prendre une décision fixant et approuvant cette rémunération. À défaut, il s’expose à devoir la rembourser, et ce même s’il est de bonne foi.

La rémunération du gérant d’une SARL est déterminée soit par les statuts, soit par une décision des associés. En pratique, le plus souvent, c’est ce deuxième procédé qui est utilisé. En effet, une rémunération fixée par les statuts nécessiterait de modifier ces derniers à chaque changement de rémunération, ce qui serait extrêmement contraignant. Il en est de même dans une EURL : sauf hypothèse, très rare, où la rémunération est fixée par les statuts, c’est l’associé unique qui détermine la rémunération du gérant, donc sa propre rémunération s’il est associé gérant. Et attention, cette rémunération doit faire l’objet d’une décision formelle qui devra être consignée dans le registre des décisions, et ce même si l’associé unique est le gérant. Car en l’absence d’une telle décision, le gérant prendrait le risque de voir sa rémunération ultérieurement remise en cause, par exemple par un repreneur de la société ou encore par le liquidateur au cas où la société serait mise en liquidation judiciaire.

Rémunération non approuvée = rémunération à rembourser

C’est ce qui s’est produit dans l’affaire récente suivante. Le gérant et associé unique d’une EURL s’était versé une rémunération au titre d’un exercice et avait cédé l’intégralité de ses parts sociales quelques mois après la clôture de cet exercice. L’acquéreur avait alors demandé qu’il rembourse cette rémunération car son versement n’avait pas été approuvé par une décision des associés (en l’occurrence de l’associé unique), ainsi que le prévoyaient les statuts. Il a obtenu gain de cause, les juges ayant affirmé que le gérant associé unique aurait dû, conformément aux statuts, prendre une décision approuvant ce versement.

À noter : les juges ont statué ainsi quand bien même le gérant était de bonne foi. En effet, ce dernier avait toujours approuvé sa rémunération après la clôture des comptes, ce qui est juridiquement valable. Mais n’étant plus associé depuis la cession, il n’avait pas pu le faire pour la rémunération qu’il s’était versée au titre de l’exercice ayant précédé la cession.

En pratique, le gérant associé unique d’une EURL qui cède ses parts sociales doit prendre soin d’approuver le versement de ses rémunérations avant la cession.

Cassation commerciale, 29 novembre 2023, n° 22-18957

Article publié le 15 février 2024 – © Les Echos Publishing 2024 – Crédit photo : jittawit.21 / Getty Images

La reprise des actes conclus par une société en formation

Les actes conclus par les fondateurs d’une société en formation doivent être repris par cette dernière une fois qu’elle est immatriculée.

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Article publié le 25 janvier 2024 – © Les Echos Publishing 2024

Actes accomplis pour le compte d’une société en formation : du nouveau !

La procédure de reprise des actes accomplis par les futurs associés pour le compte d’une société en formation est assouplie. La mention selon laquelle ces actes sont conclus « au nom » ou « pour le compte » de la société en formation n’est plus exigée.

Lorsqu’elle est en cours de formation, une société n’a pas encore la personnalité morale car elle n’a pas encore d’existence juridique. Elle n’a donc pas la capacité juridique d’accomplir des actes tant qu’elle n’est pas immatriculée au Registre du commerce et des sociétés (RCS). Par conséquent, ce sont les futurs associés qui accomplissent les actes qui sont nécessaires à la création de la société et au démarrage de son activité (signature d’un bail, souscription d’un prêt…) pour le compte de celle-ci. Et ces actes doivent, une fois que la société est immatriculée au RCS, être repris par celle-ci. Ils sont alors réputés avoir été souscrits dès l’origine par la société. À ce titre, jusqu’à maintenant, pour que la reprise de ces actes soit valable, il fallait que les futurs associés inscrivent expressément qu’ils étaient conclus « au nom » ou « pour le compte » de la société en formation. Et attention, les tribunaux considéraient que les actes qui ne comportaient pas cette mention précise ne pouvaient pas être repris. La Cour de cassation vient d’assouplir sa position et n’exige plus ce formalisme rigoureux. Désormais, elle considère qu’il appartient au juge d’apprécier si, au regard des mentions figurant dans l’acte et aussi de l’ensemble des circonstances, la commune intention des parties n’était pas que l’acte fût conclu au nom ou pour le compte de la société en formation. Le fait de ne pas mentionner dans l’acte qu’il est conclu « au nom » ou « pour le compte » de la société n’est donc plus rédhibitoire.

Cassation commerciale, 29 novembre 2023, n° 22-12865Cassation commerciale, 29 novembre 2023, n° 22-18295

Article publié le 21 décembre 2023 – © Les Echos Publishing 2023 – Crédit photo : © 2015 Thomas M. Barwick INC

L’ex-associé d’une SCP a-t-il droit aux dividendes ?

Le professionnel qui s’est retiré d’une société civile professionnelle dans laquelle il était associé n’a pas droit aux dividendes dont la distribution est décidée alors qu’il n’avait plus la qualité d’associé.

Les dividendes n’ont pas d’existence juridique avant l’approbation des comptes de l’exercice par l’assemblée générale des associés. Il en résulte que le droit aux dividendes appartient à ceux qui sont associés au jour de la décision de l’assemblée générale de distribuer tout ou partie des bénéfices réalisés au cours de l’exercice considéré. Les juges viennent à nouveau d’appliquer ce principe dans l’affaire récente suivante. En 2007, l’un des deux associés (des chirurgiens) d’une société civile professionnelle (SCP) s’était retiré de la société. Quelques années plus tard, en 2016, l’associé restant avait tenu une assemblée générale au cours de laquelle il avait approuvé les comptes de plusieurs exercices, en l’occurrence les exercices allant de celui de la date du départ de son associé (2007) jusqu’à celui de la date du remboursement de ses parts sociales (2012). Lors de cette assemblée, il avait également décidé de la distribution, à son seul profit, des bénéfices réalisés pendant cette période (2007-2012), déduction faite de la part de son ex-associé correspondant à l’exercice 2007 (année du départ de ce dernier). Estimant qu’il avait droit à la moitié des dividendes relatifs aux exercices allant jusqu’à la date de remboursement de ses parts sociales (2008-2012), ce dernier avait alors contesté cette décision. Mais il n’a pas obtenu gain de cause car la décision de distribuer des dividendes avait été prise à une date (2016) à laquelle il n’avait plus la qualité d’associé.

À noter : rendue pour une SCP, cette décision peut s’appliquer aux autres formes de société.

Cassation civile 1re, 18 octobre 2023, n° 21-24010

Article publié le 14 décembre 2023 – © Les Echos Publishing 2023 – Crédit photo : Andrii Yalanskyi / Getty Images

Quand la révocation d’un dirigeant de société est abusive

Même s’il a commis une faute lourde, le dirigeant d’une société doit toujours avoir connaissance des motifs de sa révocation et être mis en mesure de présenter ses observations.

La révocation d’un dirigeant de société ne doit pas être abusive. En effet, il doit toujours être informé des motifs de sa révocation et avoir la possibilité de s’expliquer, et ce même s’il a commis une faute lourde. À défaut, il serait en droit de réclamer des dommages-intérêts à la société qui l’a limogé. Les juges ont rappelé ce principe dans l’affaire récente suivante. Le président d’une société par actions simplifiée (SAS) avait été révoqué par l’associé unique car il projetait de s’approprier les données essentielles au développement des produits de celle-ci. La révocation avait été décidée rapidement, sans que le dirigeant ait été mis en mesure de présenter ses observations, car son maintien en fonction accroissait le risque que son projet aboutisse. Pour autant, malgré l’existence d’une faute lourde commise par le président et l’urgence qu’il y avait pour l’associé unique à le révoquer eu égard au préjudice encouru par la société, les juges ont estimé que la révocation était abusive car l’intéressé n’avait pas été informé de la révocation envisagée ni mis en mesure de présenter ses observations préalablement à la décision.

Cassation commerciale, 11 octobre 2023, n° 22-12361

Article publié le 07 décembre 2023 – © Les Echos Publishing 2023 – Crédit photo : KATERYNA ONYSHCHUK/GETTY IMAGES

Quand la procédure de liquidation judiciaire d’une société est étendue à son dirigeant

En cas de relations financières anormales entre une société et son dirigeant, caractérisant une confusion de patrimoines entre eux, la procédure de liquidation judiciaire ouverte à l’encontre de la société peut être étendue au dirigeant.

Lorsqu’il apparaît que le patrimoine d’une société et celui de son dirigeant ont été confondus, la procédure collective (sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire) dont la société fait l’objet peut être étendue à son dirigeant.

En pratique : la confusion des patrimoines est invoquée par le mandataire ou par le liquidateur judiciaire qui espère ainsi élargir ses chances de recouvrer les sommes qui sont dues aux créanciers. En effet, en cas d’extension de la procédure, les biens du dirigeant peuvent faire l’objet de mesures conservatoires, puis être vendus pour régler les créanciers de la société.

Des relations financières anormales

La confusion des patrimoines est retenue par les juges lorsqu’ils constatent l’existence de relations financières anormales entre la société et son dirigeant. Tel a été le cas dans l’affaire récente suivante. L’associé gérant d’une SARL avait procédé à son profit à des retraits en espèces et à des virements importants (88 000 €) depuis le compte bancaire de la société. Lorsque la SARL avait été placée en liquidation judiciaire, le liquidateur avait estimé que ces transferts d’argent étaient injustifiés et avait donc demandé que la procédure de liquidation judiciaire soit étendue à l’associé gérant. Pour sa défense, ce dernier avait fait valoir qu’il n’y avait rien eu d’anormal puisque que les sommes ainsi prélevées avaient été inscrites au débit de son compte courant d’associé et qu’elles constituaient donc une dette à l’égard de la société. Mais les juges n’ont pas été de cet avis. Pour eux, le seul fait que les sommes en question aient été inscrites sur le compte courant de l’associé gérant ne permettait pas d’exclure l’anormalité des virements et retraits opérés sans contrepartie par l’intéressé à son profit. La procédure de liquidation judiciaire ouverte à l’encontre de la société pouvait donc valablement être étendue au gérant.

Cassation commerciale, 13 septembre 2023, n° 21-21693

Article publié le 26 octobre 2023 – © Les Echos Publishing 2023 – Crédit photo : South_agency